Champagne : trouver une marque à son goût

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Epicé, fleuri ou fruité, délicat ou puissant… le champagne a du caractère et chaque maison a le sien, qu’elle s’évertue à retrouver chaque année, lors des assemblages. Les amateurs ne s’y trompent pas, qui privilégient une étiquette selon leurs envies.

Il y a les amateurs de Ruinart et les amateurs de Krug. Ils se réconcilient sur la table des hédonistes, mais trinquent à deux visions très différentes du champagne. Les premiers craquent pour la délicatesse d’un champagne plus léger que l’air, à boire à toute heure du jour et de la nuit sans jamais faire de fausse note ; les seconds fondent pour la présence inébranlable d’un liquide doré qui, à lui seul, peut interrompre une conversation et lancer le ton du dîner. Les spécialistes préféreront l’analyse : le chardonnay, cépage frais et aérien, fait l’âme et le caractère de la maison Ruinart, tandis que Krug est connu pour son vieillissement extra-long et ses vins de réserve âgés, qui donnent sa maturité au champagne.

Entre ces deux exemples, il y a toute une galaxie de bouteilles, de cuvées, de maisons, de vignerons de Champagne. Pas toujours faciles à discerner dans le verre. Et ce ne sont pas les descriptifs que l’on peut lire sur les sites Web des maisons ou des commerçants, sur les communiqués adressés à la presse ou les comptes rendus de la presse elle-même qui nous y aideraient. « Elégance », « fraîcheur », « finesse » : ce sont toujours le même type de phrases, les mêmes mots qui reviennent. Et presque aussi souvent : « complexité », « puissance ». On pourrait, si l’on avait l’esprit taquin, établir un « bingo » des mots du champagne tant ils sont immuables. A croire que tous les vins sont identiques.

« Bien sûr que l’élégance est le qualificatif vers lequel tend toute maison de champagne », relativise Olivier Poussier, chef sommelier à la maison Lenôtre et sacré meilleur sommelier du monde en 2000. « Ils ont tous pour volonté d’avoir une mousse crémeuse, une bulle fine, un ensemble cohérent, consensuel et complexe à la fois. Dans des styles qui peuvent varier, il y a toujours une recherche d’équilibre et d’harmonie entre la bulle et la texture du champagne. Après, on peut tout de même identifier une infinité de variations, dont la plus claire est la vocation du champagne, à boire lors d’un apéritif ou pendant un repas. »

Il y a des différences plus flagrantes que d’autres. Certaines cuvées ont par essence des caractères nets : un blanc de blancs, uniquement constitué de chardonnay, aura plus de fraîcheur qu’un blanc de noirs, issus de pinot noir et de pinot meunier, qui sera, lui, plus structuré. Autre type de cuvée qui ne cesse de gagner du terrain : les champagnes millésimés, issus d’une seule vendange. Au restaurant Les Crayères, à Reims, ils remplissent les deux tiers de la carte des champagnes.

Le brut sans année, « nerf de la guerre »

Selon le chef sommelier des lieux, Philippe Jamesse, « ce sont des pièces indispensables en cuisine, quand on propose des plats raffinés. Ils proviennent des plus beaux terroirs que possèdent les maisons. Ils vieillissent mieux, plus longtemps, et peuvent acquérir de la complexité, des textures plus volumineuses, plus denses, plus veloutées, donc plus agréables en bouche ». Ces cuvées, qui marquent les esprits, ne sont pourtant qu’une toute petite partie de la production champenoise.
Un peu plus de 80 % des ventes concernent les bruts sans année (BSA), souvent les cuvées d’entrée de gamme de la maison. Ce sont elles qui définissent le style d’une marque. « C’est le vin le plus important d’une maison de champagne, confirme Olivier Poussier. C’est le nerf de la guerre, elle ne pourrait pas vivre sans. L’intérêt d’élaborer un grand BSA dans une maison est donc fondamental. Je fais partie des sommeliers qui pensent que la notoriété s’acquiert par le brut sans année et pas par une grande cuvée. »

Le champagne brut sans année est généralement constitué des trois principaux cépages champenois, souvent issus de terroirs très divers de la région, en tout cas pour les marques les plus répandues. Et puis ils bénéficient d’ajout de vins de réserve, pour patiner la récolte principale. Car le BSA a une particularité dans le monde du vin : il doit posséder un caractère reproductible d’une année sur l’autre, varier le moins possible. Au point, chez certaines marques, de se lisser et de perdre toute personnalité ? Si aucun professionnel interrogé n’ose donner de nom, certains acquiescent du bout des lèvres.
Mais une réalité ne trompe pas : le succès fracassant des champagnes de vignerons et de petites maisons au caractère bien trempé. Boire pour la première fois Jacquesson, Selosse ou Boulard pour ne citer que quelques-uns des plus recherchés, c’est s’ouvrir à un nouvel horizon gustatif en la matière. Pour le sommelier rattaché à la maison Lenôtre, ces champagnes ont permis de relever le niveau global.

Une concurrence stimulante

« Le paysage viticole a beaucoup changé en quinze ans, notamment grâce à l’arrivée de petits vignerons engagés, qui font des champagnes plus purs et moins dosés [moins chargés en sucre]. Ils sont aujourd’hui servis à la coupe dans les restaurants, ce qui n’était pas le cas avant. Regardez à New York, Tokyo ou Hongkong : on y sert autant de vignerons que de maisons. La conséquence de cette hausse de la concurrence pour les grandes maisons de négoce est une augmentation nette de la qualité de leur BSA depuis une dizaine d’années. Pour moi, ils ont fait beaucoup d’efforts. C’était obligatoire, il le fallait. »

Les savoir-faire de cuvées étendards seraient-ils en train de grignoter de la place sur les faire- savoir des marques ? Fabrice Bernard, président de la société de négoce et de vente de vins ­Millésima, observe une évolution qui va dans ce sens : « Il y a six ou huit ans, les clients achetaient toujours les mêmes marques : Bollinger ou Veuve Clicquot. Mais je constate de plus en plus, au sein d’une même commande, un panachage de plusieurs marques. Les clients aiment varier les goûts. » Reste à changer quelques habitudes de langage pour témoigner de la diversité. Car aujourd’hui encore, on dit qu’on aime les bordeaux, qu’on aime les bourgognes, mais qu’on aime… le champagne.

Source : Ophélie Neiman – Champagne : trouver une marque à son goût