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Entre faux orphelinats et greenwashing, gare aux dérives du tourisme solidaire

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Dans le secteur du tourisme, les certifications environnementales ou de développement durable se multiplient. Mais derrière certaines démarches, le tourisme solidaire, s’il n’est pas encadré, peut s’avérer néfaste pour les locaux ou l’environnement.

Près d’1,5 million de “volontouristes” parcourent le monde chaque année, à la recherche d’une nouvelle façon de voyager, en alliant découverte et humanitaire. De plus en plus, les voyageurs souhaitent des expériences authentiques, humaines et engagées pour les populations locales ou pour l’environnement. Mais derrières ces bonnes intentions, gare aux dérives. “Malgré tous les aspects positifs du tourisme solidaire, comme dans toute mouvance, il peut y avoir des abus“, alerte Caroline Mignon, directrice de l’Association pour le Tourisme Equitable et Solidaire (ATES), une association regroupant une dizaine de structures engagées pour un tourisme durable.

L’Union nationale des associations de tourisme et de plein air (UNAT) définit le tourisme solidaire comme “toutes les formes de tourisme “alternatif” qui mettent l’homme et la rencontre au cœur du voyage, et qui s’inscrivent dans une logique de développement des territoires.” En 2018, l’association recensait 1 650 établissements appartenant au tourisme social et solidaire, accueillant environ 5,3 millions de vacanciers pour un chiffre d’affaire global de 1,1 milliard d’euros, en pleine expansion.

Faux orphelinats

Les deux dérives principales de ce type de pratique sont liées aux problématiques environnementales et à l’émergence du tourisme humanitaire“, explique Caroline Mignon. Pour profiter de la tendance, différentes agences de voyage mettent en avant des arguments de vente “durables”, qui ne sont parfois qu’une façade. “Tout le monde veut s’y précipiter, mais beaucoup font du greenwashing, en mettant un peu de vert autour de leur offre, parfois mensongère“, détaille-elle. Même son de cloche du côté du volontourisme de plus en plus remis critiqué. “Le désir de voyager et de découvrir de nouvelles cultures est tout à fait louable, comme le souhait de faire du bénévolat. Mais les aspects positifs de ce volontariat sur les populations locales est tout autant discutable“, interroge Mark Watson, directeur du cabinet Tourism Concern.

Ainsi, les touristes défilent dans les orphelinats et les villages des destinations phares des agences de séjours humanitaires – l’Asie du Sud-Est, le Sud de l’Afrique et l’Amérique latine. “Dans certains villages, on voit se multiplier des puits construits par des étrangers, et on en trouve parfois quatre ou cinq dans les jardins des locaux. Et la plupart ne marchent pas“, se désole Caroline Mignon. De “faux orphelinats” ont fleuri, dans lesquels les enfants, arrachés à leurs parents, servent uniquement à satisfaire le désir des touristes de venir en aide aux populations locales, d’après l’Unicef.

On n’accepterait pas de voir des touristes venir en France pour jouer les infirmières avec nos enfants“, s’insurge Caroline Mignon. Car, dans ces circonstances, aucun diplôme n’est demandé aux bénévoles et les tours-opérateurs exigent simplement aux candidats de payer le prix fort, allant parfois jusque’à 2000 $ pour un séjour de deux semaines, sans compter le billet d’avion.

Consulter les partenaires locaux

Du côté de l’environnement, la compensation carbone ou autres arguments éco-responsables peuvent aussi tromper les voyageurs. “La part des fonds réinvestie dans des projets écologiques est parfois très faible, ou attribuée à des programmes inadaptés aux besoins locaux“, avertit l’experte. Alors, pour corriger le tir, différentes associations comme l’ATES ou encore Agir pour un Tourisme Responsable (ATR), créent leurs propres labels permettant de certifier les démarches sérieusement engagées. “On évalue une structure, en demandant les documents qui attestent que les fonds sont bien alloués à des partenaires locaux, qui prennent part aux décisions et sont consultés pour déterminer les besoins des populations“, détaille la directrice. Mais pour l’instant, la majorité de ces certifications sont des labels environnementaux, plaçant plus ou moins loin le curseur des exigences envers les entreprises. “Et il n’existe pas de législation officielle ou de projet de loi pour inciter les agences à se faire certifier et satisfaire certains critères“, regrette Caroline Mignon.

En attendant que celles-ci ne se développent, rester vigilant à chaque voyage reste la solution pour ne pas encourager les abus, en fuyant les séjours coûteux, en se renseignant sur les labels, et en allant voir ce qui se cache “derrière l’étiquette verte, insiste Caroline Mignon. “Pour soutenir les populations, rien de mieux que de se rendre dans le pays qu’on veut découvrir et d’acheter local, d’aller à leur rencontre, mais pas en se portant volontaire dans des orphelinats dont on ne sait rien“, insiste Anna McKeon, consultante pour l’association Better Volunteering, Better Care, militant pour la fin du volontourisme, dans une interview à Sharing4Good. “Si vous voulez aider, appelez des organisations internationales qui travaillent dans la région, et demandez leur conseil mais évitez le volontourisme.

En 2018, 151 établissements s’inscrivaient dans une démarche officielle de promotion d’un tourisme durable au travers d’un label comme la Clef Verte ou Ecolabel, d’après l’UNAT, soit seulement 9% du parc total du tourisme social et solidaire. Un long chemin reste donc à parcourir pour limiter les dérives.

Source : Entre faux orphelinats et greenwashing, gare aux dérives du tourisme solidaire