L’Inde et Taïwan, les nouveaux maîtres du whisky

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Après le Japon, fer de lance du whisky, d’autres contrées en Asie se sont lancés dans la course au malt. Avec l’ambition de réaliser un produit d’exportation de qualité.

L’Asie, terre de whisky ? Le phénomène n’est pas nouveau. Cela fait déjà presque cent ans que le Japon s’est imposé comme l’un des plus méticuleux producteurs de whisky au monde. La plus ancienne distillerie du pays, Yamazaki, a vu le jour en 1923, après plusieurs années d’observation dans les Highlands. Désormais, Suntory et Nikka se partagent le plus gros du marché du malt japonais. Mais le whisky asiatique n’est plus uniquement produit sur l’Archipel. D’autres contrées, comme Taïwan ou l’Inde, s’invitent sur ce marché tant convoité. Toutes deux complètent, derrière la France, championne avec 2,15 litres par an et par habitant, le podium du plus gros consommateur de whisky.

L’Inde tient son goût pour la noble eau-de-vie de la colonisation anglaise. En quittant le sous-continent en 1947, les Britanniques ont laissé derrière eux quelques distilleries dont le pays a fait un large usage : parmi les dix marques les plus vendues au monde aujourd’hui, huit sont indiennes. Distribuées partout dans le monde, elles bénéficient d’un succès davantage quantitatif que qualitatif, puisque rares sont celles qui réussissent à se distinguer sur la scène internationale. En cause, le mode de production. Alors qu’en Europe le temps d’« élevage » requis est de quatre ans, en Inde, le whisky ne passe guère plus de deux années en fûts avant sa commercialisation.

Amrut une production 100 % indienne

Amrut compte parmi les exceptions. Cette marque, qui signifie « élixir de vie », est implantée dans le sud de l’Inde, à une vingtaine de kilomètres de Bangalore, dans la Silicon Valley indienne. Là, à 1 000 mètres au-dessus du niveau de la mer, et dans un climat tropical, la distillerie Amrut, propriété de la famille Jagdale, est parvenue à produire, en une douzaine d’années à peine, des single malts profonds et précis. Lors de dégustations à l’aveugle, des palais affûtés les confondent même avec des écossais. Une comparaison aussi flatteuse que prometteuse, même si l’objectif d’Amrut est de produire un spiritueux à l’identité marquée, un « indian single malt whisky ».

De fait, tout en respectant les règles de l’art écossais, la production se veut presque à 100 % indienne dans son élaboration, ses ingrédients, comme son environnement matériel. Du coup, la distillerie fonctionne en toute autonomie : elle a, par exemple, acquis 5 000 hectares de champs au pied de l’Himalaya pour y cultiver son orge ; une petite partie peut néanmoins provenir d’Écosse, notamment pour son maltage et son séchage à la tourbe, qui n’existe pas en Inde. Amrut possède sa tonnellerie, ses alambics fabriqués sur place selon les dessins du maître des assemblages, formé en Europe et présent depuis la création de la maison en 2004.

À arpenter le site, aucun doute : nous sommes bien en Inde. Les lieux sont à l’image du sud du pays, tout est coloré, les vêtements de coton des hommes comme les saris vert foncé des femmes qui forment l’essentiel de la main-d’œuvre. Ce sont elles qui mettent en bouteilles à la main. L’une vérifie et rectifie le niveau des flacons, une autre met le bouchon, l’enfonce. Une autre encore colle silencieusement l’étiquette. Le plus ancien whisky de la marque sort cette année un 12 ans d’âge. « Le phénomène d’évaporation dû à notre climat accélère le vieillissement. Ce whisky correspondrait à un 42 ans d’âge, explique le blend master. Il a subi 80 % d’évaporation ! » Son prix est en conséquence : près de 1 000 euros la bouteille arrivée en France.

« On a reçu plus de 180 médailles d’or dans le monde » Lee Yu-ting, patron du groupe King Car

Les très bons whiskys provenant d’Asie ne peuvent être bon marché. N’est-ce pas d’ailleurs une folie que cette production installée dans des pays aux climats qui donnent autant à la part des anges ? C’est le cas aussi à Taïwan, où le vieillissement est accéléré, et l’évaporation phénoménale. La distillerie Kavalan est née de la volonté d’un homme, Lee Yu-ting. Patron du groupe King Car, qui possède, entre autres, un centre de recherches biochimiques, une usine d’insecticides, de détergents et de produits d’entretien, un institut de recherche en biotechnologie, une usine de production de café et de boissons dérivées à base de café… Celui-ci s’est mis en tête de compter sur la planète whisky « parce que c’est un marché en forte croissance » et qu’il est lui-même amateur.

« Kavalan » est le nom d’une peuplade locale. La distillerie est installée à Yilan, dans la partie nord de l’île. Elle s’est propulsée rapidement (la production a commencé en 2005 !) à la place de premier producteur de whisky taïwanais.
Avant 2002, l’alcool taïwanais était soumis à un monopole étatique. Dès sa levée, le milliardaire de King Car s’est engouffré dans ce business avec des moyens colossaux qui lui ont permis de gagner du temps. Ici, le but n’est pas de faire un produit 100 % taïwanais. Contrairement aux Indiens d’Amrut, M. Lee achète tout en Europe ou ailleurs dans le monde. Dans la tonnellerie de Kavalan, chaque fût arrivé a déjà servi à l’élevage de vins dans un vignoble d’Espagne, de France, d’Australie ou d’ailleurs. Il est nettoyé, démantelé, recerclé et fortement brûlé. Ce qui contribue à donner un goût ardent au whisky de la marque. Les alambics rutilants sont importés d’Écosse. Quant au malt, il peut aussi venir de Finlande ou de Suède.

On n’ose calculer le coût du transport par bateau de l’ensemble des matières premières. Sans parler de l’empreinte carbone… Il n’y a guère que l’eau de la distillerie qui soit locale, ou plus exactement détournée d’une source située à sept kilomètres. Résultat : le prix de certaines bouteilles vendues en France, premier marché de Kavalan, grimpe à 250 euros. « On a reçu plus de 180 médailles d’or dans le monde », se félicite son propriétaire, qui revendique avoir sollicité « différents consultants pour y parvenir ». Son objectif est de « produire 10 millions de bouteilles. J’ai 51 ans et je peux travailler encore trente ans, le temps de réaliser mes visions », explique l’homme d’affaires. Parmi elles, il y aurait la création d’un vignoble. Voilà un point commun avec le propriétaire de la distillerie Amrut, qui envisage également de faire du vin. « Mais c’est plus compliqué que le whisky, et on en est toujours à faire des recherches de sols », confie M. Jagdale, un verre de blanc indien à la main.

 

Source : Laure Gasparotto – L’Inde et Taïwan, les nouveaux maîtres du whisky