Quel avenir pour le parc hôtelier français ?

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Jean-Luc Michaud, président de l'Institut national de formation et d'application : 'L'État s'est désintéressé de l'hôtellerie depuis trop longtemps : les soutiens à la modernisation du secteur mis en place il y a vingt-cinq ans ont été abandonnés avant d'avoir produit tous leurs effets.'
Jean-Luc Michaud, président de l’Institut national de formation et d’application : ‘L’État s’est désintéressé de l’hôtellerie depuis trop longtemps : les soutiens à la modernisation du secteur mis en place il y a vingt-cinq ans ont été abandonnés avant d’avoir produit tous leurs effets.’

Le parc hôtelier français est en pleine mutation. La mise en place en 2010 des nouvelles normes de classification, le changement récent du taux de TVA, la montée en puissance de géants de la distribution et la concurrence de nouveaux acteurs comme Airbnb modifient de façon durable la structure du parc et les performances des entreprises hôtelières indépendantes. Jean-Luc Michaud, ancien directeur du tourisme au Conseil national du tourisme, actuel président de l’Institut national de formation et d’application, livre sa vision.

L’Hôtellerie Restauration : Quels sont les menaces qui pèsent sur les entreprises hôtelières et quels sont les enjeux auxquels elles se trouvent confrontées ?

Jean-Luc Michaud : Aux difficultés bien connues de l’investissement, de la transmission des entreprises, de l’insuffisante valorisation des métiers de service s’ajoutent l’alourdissement des obligations sociales, fiscales et réglementaires et la complexité de la distribution. Du fait de sa diversité, la profession est très éclatée et fait preuve d’un lobbying peu efficace. Enfin, l’État préfère depuis longtemps subventionner un immobilier de loisirs peu créateur d’emplois, mais bénéficiant d’avantages financiers, fiscaux ou sociaux importants : ainsi quelque 500 M€ d’avantages fiscaux ont été accordés par l’État en une dizaine d’années aux résidences hôtelières et de tourisme, sans compter les aides des collectivités locales.

La nouvelle réglementation avait pour objectif de mettre l’hôtellerie française aux normes internationales. A-t-elle réellement rempli son rôle ?

Si les nouvelles normes hôtelières ont introduit quelques éléments de souplesse et des critères qualitatifs et de service bienvenus, elles ont surtout tiré vers le bas les standards réels de confort : de nombreux hôtels ont gagné une étoile par le simple jeu des nouvelles grilles. Plus graves sont les réglementations dites sécurité incendie et accessibilité, édictées sans appréciation des risques ni des besoins réels. Malgré quelques assouplissements mineurs, elles condamnent mécaniquement une part de notre hôtellerie traditionnelle à disparaître, entraînant chômage et désertification dans les zones rurales ou de tourisme saisonnier. Déjà plus de 200 établissements ferment chaque année essentiellement pour ce motif.

L’hôtellerie semble se partager aujourd’hui entre l’immobilier et la finance d’un côté, et la distribution de l’autre. Quels sont les impacts sur la structure du parc à court et moyen terme ?

Comme certains hôtels indépendants, notamment urbains, les chaînes cèdent souvent des murs pour financer leur développement. Il serait sans doute préférable de favoriser l’investissement hôtelier par les banques et de développer un système de prêts à taux 0, par exemple pour les transmissions. La distribution hôtelière emprunte des canaux de plus en plus dominés par le numérique : par leurs montages technologiques et fiscaux sophistiqués, les OTA imposent des coûts de médiation léonins qui absorbent les marges des producteurs et annihilent leurs possibilités d’investissement et de développement. On peut craindre que la trésorerie et la capitalisation boursière des OTA ne favorisent leur mainmise sur l’hôtellerie, y compris de chaîne, dont elles auront déjà siphonné les marges et les clients : ce peut être le signal d’un basculement à terme de l’hébergement touristique dans la main des grands opérateurs du Net.

L’État a mis en place des financements spécifiques pour aider l’hôtellerie française à élever son niveau de confort. Estimez-vous qu’il a atteint son but ?

L’État s’est désintéressé de l’hôtellerie depuis trop longtemps : les soutiens à la modernisation du secteur mis en place il y a vingt-cinq ans ont été abandonnés avant d’avoir produit tous leurs effets. Les projets annoncés le 11 juin par Laurent Fabius en faveur de l’investissement touristique, avec la Caisse des dépôts et la BPI, sont prometteurs. L’hôtellerie indépendante devrait s’en saisir non seulement pour financer les mises aux normes de sécurité et d’accessibilité, mais surtout pour se moderniser et offrir des équipements et des prestations plus attractifs. Près de 5 000 établissements sont concernés, qui représentent la sauvegarde de près de 50 000 emplois !

L’apparition de nouveaux acteurs comme Airbnb sur le marché déstabilise l’hôtellerie traditionnelle. Comment rétablir l’équité ?

Les acteurs de l’économie dite du partage bénéficient d’une différence de traitement fiscal et social dont les effets ne sont pas vraiment mesurés : ‘l’uber-popérisation’ permet à quelques intermédiaires de se constituer des fortunes colossales fondées sur la paupérisation de la société ! Mais ce ‘partage’ s’accompagne de la destruction de dizaines de milliers d’emplois de production dans les petites entreprises et chez les indépendants.

Nous voyons ainsi d’un côté des activités peu ou pas fiscalisées, sans statut clair mais attractives pour le consommateur : chambres d’hôte, airbnb, résidences hôtelières… De l’autre, nous avons des entreprises surtaxées, hyper-réglementées et contrôlées, fragilisées par toutes ces formes de concurrence déloyale. La solution passe par un alignement progressif des conditions réglementaires et fiscales applicables à des entreprises dont l’offre est similaire. Le salut viendra de moins d’obligations et de charges pour l’hôtellerie qui est, elle, créatrice d’emplois, et moins de facilités fiscales et sociales pour les résidences qui n’en créent guère ou pour les meublés touristiques qui n’en créent pas du tout.

Sur quelles perspectives positives les hôteliers peuvent-ils compter dans les années qui viennent ?

Dans un contexte de stagnation économique et d’alourdissement des taxes, des cotisations et des prélèvements et contraintes de toute nature, l’hôtellerie française doit appliquer le précepte ‘aide-toi et le ciel t’aidera’. Cela veut dire :

– présenter un front commun réunissant indépendants et chaînes chargé de faire des propositions crédibles et durables adressées non seulement aux pouvoirs publics mais aussi aux investisseurs et aux clients ;

– viser la qualité des prestations et de l’accueil, qui reste notre grande faiblesse pour beaucoup de clients étrangers, grâce à un programme d’investissement et de formation de grande ampleur.

– veiller par tous les moyens légaux à un assainissement du marché par l’application de règles de concurrence et de commercialisation plus équitables, sauf à admettre que le tourisme européen doit devenir un poulailler livré à quelques renards assoiffés.

Une mobilisation européenne, avec l’Hotrec notamment, permettrait de mieux répondre aux différentes menaces qui pèsent sur l’économie touristique, et en premier lieu sur l’avenir de son hôtellerie.

Source : Quel avenir pour le parc hôtelier français ? – Catherine Avignon