Tourisme Madagascar – Le soleil et la mer ne suffisent plus

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la mer et le soleil

Professeur de géopolitique et de tourisme, Jean Michel Hoerner a été le Doyen de la Faculté de tourisme de Perpignan. Notre entretien pour le compte de Go To Magazine date de quelques années, mais garde encore toute son actualité.

Tom Andriamanoro : M. le Doyen, au début des années 60, Madagascar avait le choix entre créer une compagnie aérienne nationale, avec ses promesses d’emplois hautement qualifiés, et ouvrir son ciel en misant sur le tourisme et l’hôtellerie. Était-ce une erreur ?

Jean Michel Hoerner : Prenons l’exemple de Maurice. Quand au tout début, il a lancé le tourisme sans compagnie nationale, 90% des recettes retournaient dans les pays de provenance des touristes. La création d’Air Mauritius lui a permis d’en garder plus de la moitié. À cette époque, le choix d’avoir une compagnie nationale était fondamental. Mais les choses ont aussi évolué dans l’hôtellerie. Il y a des emplois de base, des emplois intermédiaires de techniciens et de techniciens supérieurs, et de plus en plus d’emplois de direction jusqu’au General Manager. Le tourisme est devenu une industrie où les concurrences sont fortes, où les problèmes de rentabilité existent. Comme dans toutes les industries, on y a également besoin de haut de gamme. Et n’oubliez pas, qu’aujourd’hui, l’aérien fait aussi partie de l’industrie du tourisme. De nouveaux vocables sont apparus, on parle désormais de tourismologie, une science propre qui permet toutes les remises en cause nécessaires. Nous ne supposons pas un seul instant que le tourisme, sous sa forme moderne, se fige selon des règles immuables.

Parlons de la formation de ces cadres dont vous parlez, appliquée au cas de Madagascar.

Quand j’ai commencé à former des gens en France en 1991, j’ai eu tous les professionnels contre moi, comme quoi on n’a pas besoin de bac+4 ou de bac+5. Finalement, tout le monde s’y est fait. L’objectif serait donc que Madagascar puisse disposer de cadres nationaux qui seront les vrais piliers du tourisme, car étant les mieux à même d’appréhender certains aspects de la société et de la pensée malgache. Les plus motivés aussi pour ce qui est du développement non seulement de leur entreprise, mais d’un pays qui est le leur. Le directeur du marketing de Mercure m’avait dit un jour qu’à ses yeux, le problème numéro 1 au niveau de l’encadrement, c’est l’interculturalité.

Quel serait le cursus à suivre ?

À Madagascar, l’enseignement du tourisme est lié au ministère du Tourisme. C’est aussi le cas de l’Espagne, mais pas de la France où il relève de l’Éducation nationale. L’idée est de partir d’une structure existante comme l’INTH, et de demander à l’Université de s’y associer. Le diplôme serait un Master 1 et 2, pour s’aligner sur ce qui se fait partout dans le monde. Des universités comme la mienne ou celle de Grenoble seraient a priori partantes dans cette entreprise. Le corps enseignant rassemblerait des universitaires de Madagascar, des enseignants de technologie touristique, des professionnels, sans oublier les échanges d’enseignants. Aux meilleurs étudiants serait proposé un premier semestre dans un Master 2 en France, avant d’entamer ici même le second semestre et le dernier stage. C’est important, car l’industrie touristique va de pair avec la mondialisation, et il y a un professionnalisme qui demande encore à être étoffé à Madagascar.

Quand vous parlez de « développement pensé » du tourisme, faites-vous allusion aux ateliers, symposiums, et autres séminaires qui encombrent parfois inutilement certains programmes d’activité ?

Pas du tout. L’action à mener est claire : un, former les managers avec un enseignement approprié. Deux, amener les professionnels à réfléchir sur la meilleure démarche pour améliorer le tourisme, et il n’y a pas de raison que cette recherche soit laissée aux gens de l’extérieur.

Quel est le profil d’hôtel et, par extension, de tourisme dont Madagascar a besoin?

Dans le monde, l’hôtellerie indépendante, évaluée en lits, est de moins en moins importante. L’hôtellerie des chaînes intégrées tend à devenir prépondérante, notamment les hôtels franchisés et les hôtels gérés, plus que les hôtels patrimoniaux en régie directe. C’est une évolution qui s’inscrit dans une certaine mutation et dans la recherche d’une meilleure rentabilité. À Madagascar, on n’en est pas encore là. Plus qu’une question de profil d’hôtel adéquat, l’essentiel est de contrôler les implantations, d’éviter le saccage de l’environnement. Je tiens à préciser que le problème n’est pas seulement hôtelier, il se situe également au niveau des avions. Il faut plus de lignes.

Est-ce une bonne chose d’avoir une approche quantitative des arrivées touristiques, ne vaut-t-il pas mieux avoir un nombre de touristes limités, mais à haute valeur ajoutée ?

Avoir moins de touristes mais qui paient plus, ce serait bien sûr l’idéal. Mais il y a un pas entre cet idéal et la réalité, et on est quelquefois obligé de chercher à en avoir plus, quitte à subir certaines gênes. C’est le cas de la Turquie qui en reçoit 13 millions, et cela a complètement changé le visage du pays.

Le tourisme n’est-il pas générateur d’un monde à part, dont l’opulence peut être perçue comme une insulte au regard de la pauvreté de certains pays récepteurs?

J’ai fait ma thèse sur le sous-développement, en tant que chercheur j’ai travaillé au milieu de gens très pauvres, et j’ai parfois eu l’expérience ou la sensation de ce genre de contradiction. Pensons à ce qui s’est passé après le tsunami. Certains se sont dit, « ce n’est plus possible que des touristes viennent encore dans des endroits où il y a eu autant de morts ! » D’autres, au contraire, ont été d’avis que pour les rescapés la vie continue, et qu’ils doivent retrouver au plus tôt leur travail. Vu sous cet angle, même les plus pauvres sont finalement contents qu’il y ait une activité comme le tourisme, qui crée des emplois tout en amenant un argent qui n’est pas une aumône. C’est aussi une question de dignité, quand on connaît les effets extrêmement pervers de certaines formes d’assistance.

Source : Tourisme Madagascar – Le soleil et la mer ne suffisent plus