Destination Madagascar : quelle stratégie de communication pour la Grande Ile ?

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Massifs montagneux du Parc National de Marojejy, région SAVA ©Paul Edwardo Jaomazava – Tous droits réservés
Massifs montagneux du Parc National de Marojejy, région SAVA ©Paul Edwardo Jaomazava – Tous droits réservés

Propos recueillis par Audrey GUEHO, le 22 juin 2015

M. Tsitohaina ANDRIAMANOHERA est directeur de la stratégie et de la communication à l’Office National de Tourisme de Madagascar. Il nous reçoit pour nous expliquer comment se met en place la stratégie de communication de la destination Madagascar.

Audrey Guého : Monsieur Tsitohaina, bonjour et merci de nous recevoir dans les locaux de l’Office National de Tourisme de Madagascar. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots quel est votre rôle au sein de l’ONTM ?

Tsitohaina Andriamanohera : La Direction de la Stratégie et de la Communication que je dirige travaille en étroite collaboration avec la Direction de la Promotion. Pour expliquer simplement, je dirais que nous faisons le back-office, le fond de la démarche de communication de la destination touristique Madagascar : nous nous occupons de réaliser les études de marché et de fournir le contenu qui sera utilisé par la Direction de la Promotion. Cette dernière s’occupe du front-office, de la forme à donner à ce contenu suivant les différents marchés qu’elle couvre.

A.G. : Quel est le positionnement actuel de la destination Madagascar ?

T.A. : Notre thème clef est la nature car nous avons un maximum d’atouts en la matière. Ensuite, pour affiner notre positionnement suivant les marchés, nous avons identifié quatre autres thèmes qui viennent se mixer à ce message de nature : le balnéaire – que l’on peut étendre au tourisme de croisière -, le tourisme durable, le créneau sport et nature et enfin la culture.
Plus concrètement, nous avons fait une étude sur le marché japonais qui nous permet de savoir que le message promotionnel auquel seront les plus sensibles les Japonais sera la culture – via l’accueil chez l’habitant par exemple – en complément de la nature – et en particulier les baobabs.
Un autre exemple est le marché français qui est un marché beaucoup plus mature et qui connaît déjà Madagascar. Aujourd’hui ce marché est en train de se segmenter en niches que sont le tourisme durable et le voyage découverte plus axé sport – randonnée – et nature.

A.G. : En parlant de connaissance de Madagascar, c’est vrai que l’on constate que beaucoup de gens ignore tout du pays, de sa taille… parfois même qu’il s’agit d’une île !

T.A. : C’est vrai, mais pour nous c’est plus une opportunité qu’un frein : ça nous laisse la possibilité de bâtir l’image que l’on souhaite de Madagascar.

A.G. : Quelles pourraient être les destinations concurrentes aujourd’hui ?

T.A. : Franchement, moi aussi je me pose la question : il y a tellement de critères pour segmenter le marché. Par exemple, si on prend le critère des destinations long-courrier depuis la France, soit plus de six heures de vol, on parle déjà de 150 destinations concurrentes ! Si on affine en parlant de destination « nature », toutes les destinations d’Afrique et notamment d’Afrique subsaharienne sont des compétiteurs, ainsi que des destinations d’Amérique du Sud comme le Brésil, le Costa Rica, etc.
Si on regarde au niveau du tourisme balnéaire : l’Ile Maurice devient notre plus gros concurrent. Si c’est le tourisme affinitaire – la visite à des amis, à de la famille –, il y a la Réunion.
Cette notion de compétiteur est très importante et c’est une réflexion qui est en train d’être faite mais nous avons besoin de plus de précisions sur l’image de la destination que nous voulons donner. Nos quatre thématiques de travail actuel, balnéaire, tourisme durable, sport et aventure, culture, nous ont été recommandées via une étude de marché basée sur l’imaginaire français et datant de 6 ans. Aujourd’hui, on a besoin de segments beaucoup plus fins et distincts car beaucoup de destinations utilisent déjà ces thèmes. Par exemple, Maurice, qui est déjà bien installé sur le balnéaire, et l’Afrique du Sud, qui elle est bien installée sur le tourisme de nature, s’engagent tous les deux dans le développement des aspects culturels et durables.
Cette notion de concurrent est très difficile car nous sommes sur un marché qui bouge très vite.

A.G. : Comment arrivez-vous à mettre en avant la multiplicité des paysages malgaches, ne seraient-ce que les plages d’un côté et les hauts plateaux de l’autre ?

T.A. : Il faut associer île et biodiversité. Mais l’île est tellement grande que c’est difficile à résumer : on doit faire un tri de comment on veut parler de Madagascar. L’ONTM est l’association de tous les Offices Régionaux de Tourisme de l’île et des associations par filière. Ça veut dire que, quand pour le marché japonais, on propose de promouvoir les baobabs de Morondava, les autres régions ne sont pas satisfaites ! Nous avons à convaincre nos membres et c’est pour cela que nous utilisons les études de marché.

A.G. : La stratégie de la destination se définit donc depuis la base et sur un mode consensuel…

T.A. : Oui, à l’ONTM nous ne faisons que proposer les marchés et les messages à faire passer. Tous les ORT membres de l’ONTM sont indépendants et les décisions sont prises en assemblée générale.

A.G. : Justement au niveau des marchés, quels sont les nouveaux visés ?

T.A. : Les nouveaux marchés visés sont essentiellement en Asie : Japon, Chine et Corée du Sud. On vise également l’Europe du nord, avec la Scandinavie et l’Allemagne. L’Afrique du sud également, mais là il s’agit d’un marché qu’on a perdu, probablement suite à la crise politique de 2009, et que l’on souhaite reconquérir.

A.G. : Les marchés matures sont donc plus francophones…

T.A. : La France, y compris la Réunion, est un marché mature mais il y a toujours beaucoup de travail ! Les Français représentent 55 à 65% des arrivées mais c’est 100 à 120 000 personnes par an seulement : ce n’est pas grand-chose ! L’Italie est aussi considérée comme un marché mature.

A.G. : Quelle est l’articulation entre l’ONTM et le Ministère du Tourisme pour la définition de cette stratégie ?

T.A. : Le Ministère délègue la promotion de la destination au secteur privé, via l’ONTM. Cependant, il garde un œil sur ce travail en étant présent dans notre conseil d’administration et notre assemblée générale. Au-delà de la stratégie de promotion, il y a des actions à entreprendre qui sont du ressort du gouvernement et qui concernent les infrastructures ou encore la sécurité. Tout cela doit s’inscrire dans un Master Plan qui n’existe pas encore. Il est annoncé pour 2016 mais de notre côté, nous ne pouvons pas l’attendre pour agir car les opérateurs ont besoin d’actions concrètes.

A.G. : Quel pourrait être le chantier emblématique de l’ONTM cette année en matière de stratégie ?

T.A. : C’est la réorientation stratégique pour diversifier nos marchés émetteurs. Nous sommes trop dépendants du marché français. La crise économique qui existe en France nous a montré notre trop grande fragilité.

A.G. : Enfin, vous nous avez parlé à plusieurs reprises de tourisme durable. Comment prenez-vous en compte le développement durable ?

T.A. : Il y a deux choses à dire ici.
D’une part, nous constatons que la prise en compte du développement durable est une attente des marchés. Notre rôle est alors de faire remonter ce message au gouvernement en parlant de capacité de charge des parcs, du retour des bénéfices vers les populations, du partage des bénéfices du tourisme pour le plus grand monde… mais il nous manque le Master Plan du gouvernement pour avancer là-dessus.
D’autre part, il y a 4-5 ans, les démarches de développement durable venaient d’initiatives privées et très localisées. Aujourd’hui l’ONTM soutient deux démarches à l’échelle nationale.
La première, en partenariat avec GOTOMadagascar – le Groupement des Opérateurs du Tourisme à Madagascar –, est la certification l’année dernière de dix entreprises avec la certification Fair Trade Tourism. Nous avons besoin de plus de recul pour faire des retours de cette expérience mais il est envisagé des circuits dans Madagascar permettant de relier ces dix structures.
La seconde est le déploiement, depuis 2011, de chartes régionales de tourisme durable qui permet la sensibilisation des opérateurs par leurs pairs. L’objectif à travers ces chartes n’est pas d’atteindre des standards mais de permettre à tous les opérateurs de s’améliorer ensemble. Par exemple, si une année le niveau de versement des cotisations à la CNaPS – Caisse Nationale de Prévoyance Sociale – des adhérents à la charte est de tant, et que l’année suivant ce niveau augmente, on peut dire que ces chartes sont bénéfiques pour la destination. Nous commençons tout juste à analyser cette expérience pour savoir si cette charte, en comparaison à une certification, est adaptée à Madagascar.
Mais, au risque de me répéter, tout cela doit s’inscrire dans un Master Plan du gouvernement.