Quand on parle de spiritourisme, la Martinique s’impose en exemple. Pourtant, là-bas aussi, le rhum a connu des turpitudes. A l’instar de La Réunion, c’était l’alcool du pauvre, d’assez mauvaise qualité. L’image du rhum associé à la douceur de vivre des caraïbes en général et aux Antilles en particulier s’est construite peu à peu, à mesure que la recherche de qualité portait ses fruits, et le combat des producteurs martiniquais pour obtenir l’AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) a sans doute apporté sa pierre.
« Le Spiritourisme, né à Saint-James, au musée du rhum plus exactement dans les années 90, n’a pas simplement permis au rhum de redorer son image, mais a été une véritable révolution culturelle et économique, qui a mis l’homme martiniquais, avec son histoire, sa culture, son patrimoine, et son produit régional (le rhum agricole) au coeur de la politique touristique martiniquaise. » dit Michel Fayad, responsable du musée du rhum et de l’habitation La Salle (Saint-James), à Fabien Humbert, rédacteur en chef adjoint de Rumporter dans le dernier numéro de la revue spécialisée. Un article édifiant où l’on apprend que les Martiniquais ont réussi à transcender toute l’histoire douloureuse de leurs rhums, liée à l’esclavage, pour en faire un produit d’exception recherché des européens. Résultat : 800 000 touristes visitent les distilleries martiniquaises chaque année. On est aux antipodes de la pensée victimiste de certains réunionnais accusant le rhum d’être toujours « l’instrument » du « gros colon » et de l’Etat pour contrôler le peuple. Quand on a un souci avec son colon, un bon smecta fait bien l’affaire. Le spirititourisme réunionnais est un encore un gamin à qui on vient d’enlever les roulettes de son vélo, quand son grand frère de Martinique fait des courses de VTT.
Mais on progresse. « Nos trois distilleries se veulent d’être exemplaires en termes de développement durable, d’économie circulaire et de sobriété énergétique » déclare Teddy Boyer, le directeur de la distillerie Rivière du Mât. Des arguments tout à fait dans l’air du temps, propres à sensibiliser le public. Les chiffres sont encourageants : plus de 20 000 visiteurs par an chez Savanna, plus de 60 000 à la Saga du Rhum cette année. « Le spiritourisme ne doit pas être réservé aux Antilles. Il y a une réelle appétence autour de nos produits, de notre histoire et de notre patrimoine commun qu’est le rhum » estime Cyril Isautier, directeur de la Maison éponyme. La distillerie Rivière du Mât, dont le parcours de visite a été conçu aux petits oignons, et sa toute nouvelle boutique, ne devrait pas déroger à la règle. Mais La Réunion n’est pas la Martinique. Notre île est avant tout productrice de sucre, et à cet égard, le spiritourisme devrait intégrer un produit touristique plus large autour de la canne, incluant la visite du musée Stella ou de la toute nouvelle micro-sucrerie de Bel Air, où Payet & Rivière produit son galabé. En sus de l’initiative des professionnels de la filière, une implication des collectivités et de l’Etat serait la bienvenue. Allo ? l’IRT ? Na d’moune ? Zot i bouge encore ou zot lé pa là avec ça ?
Les Antilles, un exemple à suivre ?
L’histoire du rhum aux Antilles est très différente de celle du rhum Réunionnais. Pour des raisons historiques d’abord, mais aussi de choix économiques. Pour autant l’expérience antillaise pourrait-elle nous profiter ? Questions à Mickaël Borde, Grand Ambassadeur de la Maison Isautier.
Comment expliquez vous ce décalage de perception du rhum entre les Antilles et La Réunion ?
L’exportation du rhum a été plus tardive à La Réunion. D’autre part l’exploitation du rhum a été faite au départ avec une coopérative, d’où est issu une marque emblématique. Aujourd’hui le rhum s’est engagé dans la voie de la qualité. Il faut faire comprendre aux Réunionnais que si nous avons eu du retard et qu’au démarrage on n’a pas forcément su leur donner du bon rhum, aujourd’hui le but est de bien faire et de rayonner à travers notre spiritourisme. Mon travail d’ambassadeur consiste à aller vers les Réunionnais pour leur faire redécouvrir leur culture du rhum, leur démontrer qu’ils boivent déjà du rhum de qualité, une qualité qui est aujourd’hui reconnue en dehors des frontières de l’île. Notre spiritourisme est bien moins avancé que celui de la Martinique, mais il est appelé à se développer et contribuer au développement du tourisme dans l’océan Indien.
La Réunion doit elle s’orienter vers le développement des rhums parcellaires comme aux Antilles ?
Il n’existe pas qu’une solution. Le rhum international n’est pas le rhum des Antilles (agricole NDLR), ce dernier représente seulement 1,5% de la consommation mondiale. Aujourd’hui de très grosses entreprises, les leaders du marché, codifient le rhum comme étant le produit de la mélasse. Nous pouvons nous servir de l’expérience martiniquaise, mais tout en sachant que les rhums parcellaires ne touchent qu’une niche de consommateurs extrêmement sensibles aux questions du terroir, et un peu élitistes. Les rhums parcellaires sont importants en terme de marketing. En revanche, en terme d’économie de marché et de place à prendre dans le monde on ne peut pas raisonner seulement de cette manière. Si aujourd’hui, les rhums Isautier, comme d’autres rhums réunionnais, existent à l’international, cela signifie que nos produits correspondent aux attentes des consommateurs. L’enjeu est d’abord de regagner le cœur des Réunionnais, car autant le whisky est visible, autant le rhum pei est presque caché. Pourtant il est reconnu dans le monde des CHR. Les Réunionnais n’ont pas à en avoir honte. C’est notre culture, notre richesse, notre patrimoine.