Maurice : Le temps est venu du tourisme durable

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Alors que la réouverture des frontières avait suscité l’enthousiasme d’un secteur touristique exsangue, le brusque rebond de la pandémie est une véritable douche froide. Malgré tout, l’île, qui conserve une très belle cote sur ses marchés traditionnels, va poursuivre sa stratégie axée sur le développement durable pour séduire, en particulier les « Millenials » (générations Y).

« Ce soir est spécial car Maurice vient d’ouvrir ses frontières (le 1er octobre – NDLR). C’est un nouveau chapitre de l’histoire du secteur touristique mauricien (…) », s’enthousiasmait Jean-Michel Pitot, le CEO du groupe Attitude et actuel président de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (Ahrim) en inaugurant, le 15 octobre 2021, le Sunrise Attitude, le dernier-né de sa collection d’hôtels éco-engagés. Preuve de l’importance de l’événement, Pravind Jugnauth, le Premier ministre mauricien, et son ministre du Tourisme et numéro deux du gouvernement, Steve Obeegadoo, étaient présents.

Un secteur stratégique

Le secteur touristique sort « rincé et lessivé » – pour reprendre les mots d’un acteur du secteur connu pour son franc-parler – par 18 mois de fermeture des frontières. Selon Statistics Mauritius, l’Insee local, la chute des arrivées entre 2019 et 2020 a été de 77,7 % ! Or, si officiellement le secteur touristique ne pèse « que » 8 % du PIB mauricien, dans les faits il représente tout un écosystème qui représente entre 20 % à 25 % de l’économie locale et surtout 40 % des rentrées de devises ! Conséquence, le taux de croissance de Maurice s’est affiché en 2020 à -15 %.
Face à cette situation à la fois inédite et très grave, l’État a soutenu l’industrie du voyage et du tourisme. La plupart des groupes hôteliers ont renégocié des délais de remboursement de certains prêts. Certains ont conclu des accords avec la Mauritius Investment Corporation (MIC), le fond souverain mauricien, pour  l’achat d’obligations convertibles en actions. La plus grosse part des salaires a été prise en charge par l’État qui a créé deux plans d’aide destinés aux secteurs informel et formel : le Self-Employed Assistance Scheme et le Wage Assistance Scheme.

Maurice reste une valeur sûre

C’est dire combien la réouverture de l’île le 1er octobre était attendue à la fois avec angoisse et enthousiasme. Très vite, on s’est aperçu que l’envie de voyager demeurait forte, en particulier, chez les générations Y et Z.
Une étude intitulée Ce que veulent les voyageurs en 2021, menée auprès de 16 000 participants de huit pays occidentaux par le site de réservation en ligne Expedia et l’entreprise spécialisée dans les études de marché Wakefield Research, révèle fin 2020 que lorsque la pandémie sera finie, 66 % des générations Y (les Millennials qui ont entre 25 et 40 ans) et Z (née à partir de 1997) s’empresseront de faire leurs valises.
Cette tendance s’est confirmée pour le marché hexagonal. Lors du dernier Top Resa, l’un des plus importants salons professionnels du tourisme et des voyages, organisé du 5 au 8 octobre 2021 à Paris, « la participation de Maurice était toute particulière (…) car le salon se déroulait quelques jours après l’ouverture de l’île. L’accueil pour notre destination a été enthousiaste. Cela démontrait que Maurice est de retour », relate Gilbert Espitalier-Noël, CEO de Beachcomber, premier groupe hôtelier mauricien.
« Clairement, Maurice reste toujours pour les Français une de leurs destinations préférées », se félicite François Eynaud, CEO de Sun Resorts.
Cette bonne image est confirmée par le baromètre mensuel Orchestra pour L’Écho touristique – média majeur des professionnels des industries du tourisme en France – réalisé à partir des ventes des agences offline et online hexagonales. Maurice était en octobre 2021 dans le Top 10 des destinations préférées des Français.

« Les prochains mois seront cruciaux pour savoir si la relance est bien en marche. » François Eynaud, CEO de Sun Resorts

Les résultats sont là puisque, selon le ministre du Tourisme, Steve Obeegadoo, entre le 1er octobre (jour de la réouverture) et le 7 novembre 2021, 70 746 touristes sont arrivés sur le tarmac de l’île, 80 % d’entre eux provenant d’Europe.
Ces bons chiffres prouvent « que la demande est là. Surtout, nos clients potentiels ont fait des économies pendant le confinement. On observe ainsi un rallongement d’au moins 20 % dans la durée du séjour (12 jours – NDLR). Et l’on observe un réel engouement pour le luxe et les 5-étoiles plutôt que les 4 et 3-étoiles », se félicite François Eynaud.
« Chez Beachcomber, nous avons constaté un redémarrage particulièrement prononcé au niveau de nos 5-étoiles. Ils enregistrent un véritable rebond des réservations. En termes de taux d’occupation, ils sont à des niveaux très satisfaisants. Cela confirme un début de relance prometteur. Pour nos 4-étoiles, les réservations ont été plus lentes à démarrer », précise, quant à lui, Gilbert Espitalier-Noël.
« C’est vrai, mais il ne faut pas oublier que les marchés sud-africains et réunionnais, qui sont plus demandeurs pour cette catégorie d’hébergement, ne sont que partiellement ouverts », pondère Désiré Elliah, le CEO de Lux Island Resorts.

Maurice est un joyau à protéger de l’érosion et de la pollution. Les hôteliers en sont bien conscients comme, ici, le « Constance Bellemare Plage »

La peur du rebond

Mais près de deux mois après la réouverture des frontières, l’enthousiasme semble retomber. La cause ? Le brusque rebond de la pandémie lié au variant Delta. Si Maurice affiche un taux de vaccination de 67 % de sa population, elle est pourtant durement frappée.
« Effectivement, la situation est redevenue compliquée. Il est difficile de faire aujourd’hui des estimations claires sur son impact sur les réservations », reconnaît un acteur connu du secteur.
« Mais nos protocoles sanitaires, qui sont assez contraignants, ont prouvé et prouvent leur efficacité, Maurice reste sûre pour les touristes », lance un promoteur.
On peut imaginer que la situation sanitaire se dégradant, elle puisse influer sur les arrivées. Dans son malheur, l’île peut se « rassurer » car le rebond est mondial, il touche ses marchés émetteurs, mais également ses concurrents…

Une envie d’authenticité

« Si aujourd’hui la sécurité et la confiance jouent un rôle majeur dans les décisions de voyage, le touriste recherche la nature et le bien-être. La pandémie a accéléré certaines tendances du voyage », assure le CEO de Sun Resorts. Et Maurice a donc une belle carte à jouer.
Bien avant la covid-19, pour faire face à la concurrence d’autres destinations, et pour répondre en particulier aux demandes des Millennials, l’île a fait évoluer et a diversifié son offre en misant sur son patrimoine (culinaire, musical et culturel) et ses paysages. Bref, sur son ADN.
C’est un vrai atout car selon MMGY Global, un des plus importants groupes spécialisés dans les industries du voyage, de l’hôtellerie et du divertissement, plus de 60 % des Millennials seraient plus enclins à dépenser pour du vécu qu’en biens matériels ! Pour les attirer, il faut donc les séduire. « Selon une récente étude du site de réservation en ligne booking.com, plus de 50 % des voyageurs sont concernés par des vacances durables et respectueuses de l’environnement », précise François Eynaud.
Pour cela, les groupes hôteliers innovent. Dès 2012, le groupe Attitude a lancé le concept Ottentik Attitude. « Plusieurs expériences mettent en avant la culture mauricienne. L’une des plus réputées est le dîner chez l’habitant : le temps d’une soirée, les hôtes sont invités chez un Family Member (membre du personnel du groupe hôtelier – NDLR) pour une immersion totale dans notre culture locale », se félicite Jean Michel Pitot, ancien récipiendaire du prix de l’Entrepreneur de l’année dans le cadre du Tecoma Award de L’Éco austral. En 2020, il a lancé Positive impact en s’engageant dans la valorisation des produits locaux. Et poursuivant dans cette volonté de miser sur le développement durable, son groupe vient d’inaugurer le Sunrise Attitude (voir notre hors-texte).

« Il faut faire connaître toutes les actions de nos opérateurs dans le développement durable. » Michel Pitot, président de l’association des hôteliers et restaurateurs 

Autre exemple, celui du groupe Sun Resorts. « Notre programme Suncare répond aux problématiques de développement durable comme le gaspillage alimentaire, la réduction de gaz à effet de serre et la réduction de l’utilisation du plastique dans tous nos hôtels. Sun souhaite aussi diminuer l’impact environnemental des activités hôtelières pour la conservation d’espèces endémiques, la gestion des lagons et des espaces côtiers. Plusieurs projets et programmes de développement durable ont eu lieu, dont la réhabilitation des coraux et la mise en valeur de la faune et de la flore endémique de notre île », indique le CEO du groupe.

À Beachcomber, on n’est pas en reste. « Comme leader de l’hôtellerie mauricienne, nous avons le devoir de montrer l’exemple. Nous avons lancé notre Charte sur nos 52 engagements environnementaux et sociétaux qui définit nos huit domaines d’intervention et mesure les progrès accomplis. Il est clair que de plus en plus de voyageurs mettent la protection de l’environnement au coeur de leur choix de destination de vacances. Ceci est particulièrement fort chez les jeunes et c’est très bien ainsi », applaudit Gilbert Espitalier-Noël.
Quant au groupe Lux, il a rénové son établissement Lux Le Morne en utilisant des matériaux recyclés. « Nous avons aussi mis en place le Zero Food Waste pour lutter contre le gaspillage alimentaire et assurer la gestion durable de l’eau potable. Lux Le Morne a rejoint la plateforme internationale It must be now qui rassemble des établissements hôteliers ainsi que des voyageurs autour du tourisme durable », annonce Désiré Elliah.

« La crise nous amène à nous repenser autour de trois grands enjeux : la
sécurité sanitaire, l’environnement et l’offre touristique. » Gilbert Espitalier-Noël, CEO de Beachcomber

Il faut aussi évoquer le programme de développement durable et inclusif du pôle hôtellerie du groupe Rogers, le groupe Veranda Leisure and Hospitality (VLH). Now for tomorrow comprend cinq domaines d’action : transition énergétique, économie circulaire, protection de la biodiversité, des communautés vivantes et intégrées, et développement inclusif. « En janvier 2022, 100 % des fruits et légumes, des fruits de mer, de la volaille et de la viande consommés dans les établissements du groupe proviendront de fermiers et producteurs mauriciens, ou de partenaires régionaux dans l’océan Indien », explique Thierry Montocchio, le CEO du groupe. Mais la mesure la plus spectaculaire – et c’est une première pour le secteur touristique mauricien – est que Now for tomorrow promet la neutralité carbone en compensant l’intégralité des émissions de CO2 inévitables d’un séjour. « Cela est réalisé à travers l’achat de crédit carbone auprès du groupe français Aera, mais aussi à travers des projets locaux de compensation carbone dont la construction d’une ferme photovoltaïque et le reboisement de terres non utilisées actuellement. »

« Le ‘Lux Le Morne’a rejoint la plateforme internationale « It must be now » qui
rassemble les hôtels et les les voyageurs autour du tourisme durable. » Désiré Elliah, CEO de Lux Island Resorts

Au final, on voit que Maurice veut véritablement faire du développement durable un outil stratégique pour se positionner face à la concurrence. « La prochaine étape sera sans doute de faire connaître toutes les actions de nos opérateurs. Cela passe peut-être par leur mutualisation et leur intégration dans une offre globale de la destination mauricienne », souhaite Jean-Michel Pitot.
Et cela, ce serait une vraie (r)évolution.

Source : Le temps est venu du tourisme durable