Maurice : Le tourisme ne peut toujours pas compter sur les «nouveaux marchés»

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415 millions. C’est le nombre de voyageurs internationaux recensés en 2021 par la United Nations World Travel Organisation (UNWTO), contre pas moins de 1,5 milliard de voyageurs en 2019.

Face à cette lourde baisse du nombre de voyageurs dans le monde, les restrictions imposées par la pandémie mondiale obligent, les pays dépendant du tourisme pour leur croissance économique rivalisent d’idées, d’astuces et de stratégies pour conquérir leur part de marché. Dans la région océan Indien, les Seychelles et les Maldives, les principaux concurrents de Maurice, ont compris cette urgence et se livrent bataille. Pendant ce temps, Maurice reste à l’ombre, laissant les opportunités s’envoler. Pour mieux comprendre l’évolution des diverses tactiques adoptées, laissons parler les statistiques.

En 2019, Maurice accueillait 1 383 488 touristes en provenance de nos marchés traditionnels, principalement, la France à hauteur de 22 %, l’Allemagne 9 %, le Royaume-Uni 10 %, l’île de la Réunion 10 % et l’Afrique du Sud 9 %. Voyons les marchés principaux de nos concurrents pour la même période. Aux Seychelles, le marché était dominé par l’Allemagne, suivi de la France, les Émirats arabes unis, l’Italie et le Royaume-Uni, avec au total 384 204 touristes pour toute l’année. Aux Maldives avec un total de 1 702 887 touristes, le marché était dominé par la Chine à hauteur de 16,7 %, suivi de l’Inde 9,7 %, l’Italie 8,0 %, l’Allemagne 7,7 %, et finalement le Royaume-Uni 7,4 %.

Petite parenthèse, si le nombre de touristes pendant cette période diverge par destination, il est toutefois fort intéressant de noter que ces deux destinations concurrentes y ont obtenu plus de revenus en devises que nous. En effet, si nous regroupons et analysons les données disponibles sur les sites des banques centrales de chaque île et les montants de revenus touristiques en euros compilés par AXYS en juillet 2021, l’écart est surprenant. En 2019, les revenus touristiques par tête d’habitant à Maurice affichaient 1 299 euros, contre 5 919 euros aux Seychelles et 5 770 euros aux Maldives. S’il est clair que les Seychelles et les Maldives comptent moins d’habitants que nous, il est surtout évident qu’ils attirent un tourisme de meilleure qualité, c’est-à-dire des visiteurs qui dépensent plus par nuitée, comparé à Maurice.

En 2020, le Covid-19 frappe et c’est le moment pour chaque destination d’imposer des réformes pour s’adapter à cette nouvelle normalité. Face à l’impact économique de la pandémie sur les marchés émetteurs traditionnels, les Seychelles et les Maldives changent de cap. Encore une fois, laissons parler les chiffres. À Maurice, en 2021, année presque dominée par la fermeture des frontières, Maurice attire 179 780 touristes. Encore une fois, nos principaux marchés sont la France à hauteur de 29 %, le Royaume-Uni 19 %, l’Allemagne 10 %, l’Afrique du Sud 4 % et l’île de la Réunion 3 %.

Même schéma, en janvier 2022, notre paysage touristique est dominé par la France à hauteur de 28 %, l’Allemagne 11 %, le Royaume-Uni 13 %, l’Afrique du Sud 5 % et finalement l’île de la Réunion 0 % pour un total de 40 028 touristes. Vous l’aurez compris, nous n’avons pas vraiment changé de cap.

En revanche, aux Seychelles et aux Maldives, de nouveaux marchés font leur apparition durant la période de 2021 et début 2022. Aux Seychelles, pour 182 849 touristes en 2021, c’est la Russie, nouveau player qui domine le marché avec 31 392 arrivées, suivie par les Émirats arabes unis, la France, l’Allemagne et finalement encore un nouveau marché, Israël avec 10 551 touristes. Pour le mois de janvier 2022, la Russie et l’Ukraine se partagent le haut du podium. Aux Maldives, pour 1 312 706 touristes en 2021, l’Inde prend la tête du peloton à hauteur de 22,2 %, suivi de la Russie avec 16,8 % et nous retrouvons un autre nouveau marché, les États-Unis, à la cinquième position à 4,2 %. En 2022, la Russie occupe toujours le top des arrivées touristiques à hauteur de 17,5 %, pour un total de 131 764 touristes.

Si le changement de stratégie pour la diversification des marchés est bien présent chez nos concurrents, l’accès aérien suit le même chemin, de même que l’autorisation aux chartered flights d’opérer. Les Seychelles, par exemple, accueille ARKIA et EL AL, des compagnies israéliennes et Aeroflot, une compagnie russe. Dans le même élan, les Seychelles ont mis en place un vol direct sur la Bulgarie.

Les Maldives comptent plus de 30 compagnies aériennes qui desservent la destination et ne craignent pas d’ajouter un peu de compétition, en accueillant des compagnies aériennes rivales, à l’instar d’Emirates, Fly Dubai, Qatar Airlines, Etihad Airways, Saudi Arabian Airlines ou encore Gulf Air, qui couvrent tous le même marché, mais offrent des options de prix aux voyageurs voulant se rendre aux Maldives.

À Maurice, si nous n’avons que très peu de visibilité sur la feuille de route d’Air Mauritius depuis sa sortie d’administration, les choses ne sont pas plus dynamiques, avec par exemple, l’express d’hier qui fait état des prix exorbitant des billets d’avion de la compagnie nationale d’aviation vers Paris, allant à contre-courant des exercices marketing visant le marché français.

Sydney Pierre, Chief Sales & Marketing Officer de Marriott (Mauritius), qui opère donc dans un réseau international, nous partage son avis. «Une compagnie nationale forte est importante pour tout pays qui se respecte et l’industrie se tourne toujours vers Air Mauritius quand il s’agit de développer un marché en particulier. Ce matin, je pensais au marché indien et mon premier réflexe a été d’appeler Air Mauritius. De plus, plusieurs accords existent déjà pour que d’autres compagnies viennent à Maurice, mais je pense que nous pouvons et devons faire plus pour les attirer. Air Mauritius ne dessert pas et ne pourra pas être compétitive sur tous les marchés. L’équilibre serait de faire en sorte que MK soit très performante sur certains marchés et joue le jeu d’une redistribution des rôles avec d’autres compagnies pour que Maurice en tant que destination soit vraiment compétitive.» 

Selon lui, nous sommes déjà désavantagés par notre positionnement géographique pour attirer les marchés asiatiques, MK devrait donc s’appuyer sur ces autres partenaires pour nous permettre d’être plus performants. «Il est clair que nous ne pouvons continuellement dépendre de nos marchés traditionnels. Il nous faut une fois pour toutes développer le marché chinois et être constant dans ce développement. Je ne suis pas en faveur d’amener n’importe qui et à n’importe quel prix, mais il nous faut aller chercher les compagnies que nous voulons vraiment et faire en sorte que la ‘route’ Maurice soit attractive. Il y a un potentiel énorme en Russie et en Europe de l’Est, et ne parlons pas de l’Afrique. Je pense que tout le monde sortira gagnant et plus fort si nous procédons à de vraies distributions de rôles ou de ‘routes’. Sans avions, il n’y a pas de tourisme», ajoute Sydney Pierre.

Il est aussi opportun de dire qu’outre de miser sur les nouveaux marchés, nous pouvons aussi consolider les marchés existants à fort potentiel, à l’instar de l’Afrique du Sud. Sachant que les Sud-Africains investissent aussi dans l’immobilier mauricien, avoir plus de vols nous connectant à notre voisin africain et à moins cher serait une option. Jouer la carte diplomatique pour faire de l’Inde un marché important est aussi une option, sachant que les Indiens représentent une grosse part de marché pour les Maldives. Bref, il est plus que temps que nous sortions de nos sentiers battus.

Source : Le tourisme ne peut toujours pas compter sur les «nouveaux marchés»