Régis Marcon : “Mon voeu, c’est la révolution verte”

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Régis Marcon

Le chef triplement étoilé de Saint-Bonnet-le-Froid participe à l’Exposition universelle de Milan, qui se tient jusqu’au 1er octobre. Il est particulièrement sensible au thème directeur de l’événement, ‘nourrir la planète, énergie pour la vie’.

L’Hôtellerie Restauration : L’Exposition universelle de Milan vient d’ouvrir ses portes sur un thème fort : ‘nourrir la planète, énergie pour la vie’, y seriez-vous ?

Régis Marcon : Oui, je serai présent à Milan. J’interviens dans des conférences sur tous les sujets touchant au bon et bien manger accessible à tous, et j’apporterai des témoignages sur le rôle de l’éducation dans ce défi majeur. D’autre part, j’aurai le plaisir d’intervenir avec mes amis du Club winners, Bocuse d’or au restaurant du pavillon de France.

La traçabilité des produits concerne-t-elle davantage de consommateurs ?

Après la vache folle, les tromperies sur les plats cuisinés, les enquêtes révélées par les médias, le consommateur a l’impression d’avoir été trompé, et la progression des maladies liées à l’alimentation fait que l’on s’intéresse de plus en plus à ce qu’on mange. Il est de notre devoir, notre responsabilité, de nous intéresser à la problématique de la nutrition, que ce soit dans un restaurant gastronomique ou pour les repas quotidiens.

De plus en plus de personnes développent des allergies par rapport à des produits de base, comment réagissez-vous dans votre restaurant ?

Nous avons tout d’abord le devoir de sécuriser l’alimentation de nos clients, donc tenir compte de ces allergies. Cela nous oblige à être très vigilants bien sûr et quelques fois adapter voir d’innover dans des recettes sans gluten, sans lactose par exemple. Avec un peu d’imagination on arrive à réaliser des recettes originales. Il ne faut pas oublier non plus que ces allergies sont dues en partie aux transformations de nos productions. Le blé est un exemple puisqu’il a été modifié plusieurs fois, ce qui fait que l’organisme de l’homme ne parvient plus à s’adapter.

Se responsabiliser oui, mais de quel façon ?

Il est nécessaire que chaque cuisinier s’engage tout d’abord à être plus curieux sur les produits, leur provenance, leur culture, et sur la valeur nutritionnelle de ceux-ci, et puis acquérir les gestes de base, les manières de cuire, de mélanger, d’associer les produits de base, pour être dans une logique de l’équilibre alimentaire. Le bio, le naturel, ce ne sont pas des concepts ni des marques. Ils doivent se vivre à l’intérieur de nos cuisines. Les chefs qui cuisinent maison ont cette démarche de qualité puisqu’ils tiennent compte de la saisonnalité des produits.

N’apprend-on pas la nutrition dans les formations au métier de cuisinier ?

Non, pas vraiment. Et à mon avis c’est une lacune dans les programmes de formation, la nutrition n’est enseignée que dans des sciences appliquées, c’est insuffisant. Il serait nécessaire que les formateurs cuisiniers enseignent d’une façon pratique ces notions du bon équilibre alimentaire en étant associés aux professeurs de sciences appliquées.

Un professeur de sciences appliquées ne pourra pas nécessairement expliquer comment utiliser telle ou telle huile, certaines cuissons ou associations en cuisine, acquérir les bons réflexes qui associent le bon goût à la santé. Cette formation, elle doit être à la fois théorique et pratique. Nous, cuisiniers, attachons beaucoup d’importance à la qualité des produits ; employons-nous donc, nous aussi, à bien connaitre et faire connaître la valeur nutritionnelle des produits.

Que pensez-vous du bio ?

C’est l’avenir. Les traitements phytosanitaires vont avoir leur limite puisqu’ils sont issus du pétrole. Beaucoup de dégâts sur les sols ont été faits, partout des enquêtes fiables nous montrent les conséquences de ces cultures sur notre organisme. Nous devons tous être responsables par rapport à l’alimentation, et l’éco-agriculture est la seule voie pour garantir cette traçabilité.

On connaît, au travers de nombreuses études, les impacts fortement négatifs d’une agriculture conventionnelle avec pesticides et intrants chimiques sur notre santé. La question aujourd’hui n’est plus de nous préoccuper de notre personne, mais bien de penser à nos enfants, à leur développement, à leur environnement, à la qualité de l’air que nous leur laisserons respirer…

L’agriculture raisonnée est-elle aussi une voie ?

L’agriculture raisonnée peut être une alternative, à condition que ceux qui produisent soient eux aussi responsables, car il n’y a pas de contrôle. Cela peut constituer une période provisoire pour aller vers l’éco-agriculture, quand on sait qu’il faut minimum trois ans pour passer d’une agriculture conventionnelle vers le bio. Mais on ne peut pas préconiser une demi-agriculture : les pesticides, intrants chimiques ou OGM utilisés sont nocifs à n’importe quel taux.

Y-a-t-il une différence de goût entre un produit issu de l’agriculture conventionnelle et un produit bio ?

Pas nécessairement. Quelques fois c’est flagrant, avec des anciennes variétés de pommes ou de poires, en effet le goût se révèle différent selon qu’il s’agit ou non de variétés anciennes. Le fait aussi qu’une agriculture biologique soit mise en oeuvre permet aux légumes et fruits de respecter leur croissance, leur temps de pousse et d’être plus concentrés en produit sec. Quelquefois, les fruits et légumes sont moins jolis, moins calibrés, mais c’est la nature ! Il faut appréhender l’agriculture bio en termes de qualité de propreté.

Je vous donne un exemple : au printemps 1986, j’ai cuisiné en toute bonne foi beaucoup de champignons, entre autres la chanterelle grise. Je me suis régalé, mes clients aussi. Ce que je ne savais pas, c’est que ces champignons contenaient plus de 3 000 becquerels par kilo sec alors que la norme est de 600. Tchernobyl était passé par là et le nuage radioactif ne s’était pas arrêté à la frontière. Depuis ce jour-là, je sais que la qualité d’un produit ne se voit pas qu’avec les yeux, et je suis devenu prudent.

Comment nourrir 9 milliards d’habitants en bio ?

On est encore dans une logique du XXe siècle, qui demande à produire beaucoup plus pour nourrir en quantité les habitants. Nous nous devons d’entrer dans la logique du XXIe siècle, c’est-à-dire raisonner en termes de qualité à l’hectare au lieu de quantité à l’hectare. Redonner la place aux petites exploitations agricoles qui se gèrent avec leurs propres graines, qui rendent pérennes les productions futures. Regardez l’engagement de Vandana Shiva, en Inde, qui s’est battue pour que les paysans puissent vivre de leurs propres cultures, ça marche ! Ainsi que le témoignage sur ces questions d’Olivier de Schutter, rapporteur des Nations unies sur le droit de l’alimentation.

On parle des OGM pour améliorer le production. Qu’en pensez-vous ?

En 1995, avec la libération du commerce mondial, on a commencé à parler de souveraineté alimentaire, voeu pieux, sauf qu’avec les traitements à haute dose, beaucoup de terres agricoles sont maintenant stériles. Les OGM, on n’a pas assez de recul pour en connaître les conséquences à long terme. De plus, de grands groupes influencent les pouvoirs publics, les politiques. Une loi de 2001 prévoyait des études sur les conséquences des OGM. Comment se fait-il qu’en 2015, elles ne soient pas encore faites ?

Est-il plus difficile ou plus cher pour un restaurateur de s’approvisionner en produits bio ?

En France, la commercialisation des produits bio est un marché de niche encore peu organisé et nous devons importer beaucoup de ces produits. D’autres pays, notamment en Europe du Nord, y sont arrivés en s’organisant en réseau. Quant au prix, ils sont certes plus élevés pour le moment, mais les coûts de production sont plus importants. La culture bio fait son chemin dans la tête des agriculteurs et cet écart de prix devrait s’amenuiser avec le temps.

Les politiques ont aussi leur part de responsabilité. Pourquoi l’agriculture peu conforme à la santé est-elle plus aidée que celle qui est plus en phase avec la santé ? Ce peut être une réponse au problème du bio accessible à tous, la politique de l’éco-agriculture ne doit pas être pressentie que dans les discours, mais chacun doit se l’accaparer. On arrive à manger bio dans certaines cantines scolaires, il suffit d’une volonté locale.

Vous êtes installé à Saint Bonnet le Froid, petit village de la Haute-Loire. Avez-vous des projets par rapport à notre sujet ?

J’ai la chance de vivre ici dans une nature encore bien préservée. Ici, tout est axé autour du développement durable : l’école, notre énergie, les déchets… Nous avons un projet qui porte sur l’ouverture d’un centre de remise en forme en rapport avec la nutrition. Cet établissement sera ouvert au public à partir de septembre 2015.

Avez-vous un voeu à formuler pour demain ?

Mon voeu, c’est la révolution verte. Nous, cuisiniers reconnus, devons être lobbyistes de ce changement qui s’effectue actuellement, soutenir les producteurs, donner l’exemple dans nos entreprises. Cela passe aussi par le repas du personnel, les efforts pour lutter contre le gaspillage, le management des hommes…

Je souhaiterais aussi que la journée de la gastronomie ne soit pas qu’une fête médiatique d’un jour, mais l’engagement de tous – professeurs, parents, cuisiniers, acteurs… – à éduquer nos enfants, à mieux comprendre la nécessité de bien se nourrir chaque jour.

La France a tout intérêt à être le principal acteur de ce défi, le repas français inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité nous y engage. Chaque cuisinier se doit d’être humaniste, relevons ensemble ce noble défi.

Source : Régis Marcon : “Mon voeu, c’est la révolution verte”