A la faveur du succès phénoménal du Spritz, les bulles italiennes ont ringardisé champagnes et crémants.
Le froid vient, les feuilles tombent des arbres, les terrasses se ferment. Qui donc a encore envie de boire un spritz ? Prosecco, Aperol, eau gazeuse, glaçons et une rondelle d’orange pour faire joli, tels sont les ingrédients du cocktail le plus populaire du monde des cinq dernières années. Loin de ce mélange d’une agréable couleur mandarine, le prosecco va-t-il prendre un peu de repos dans les verres ?
Pas du tout. Il connaît un succès fou, implacable. C’est la première fois qu’un vin étranger de qualité (hors vin de table) s’implante aussi vite et aussi fort en France. En 2010, il y représentait 1 % des ventes de vins effervescents. Aujourd’hui, il en est à 26 %. Rien qu’entre 2015 et 2016, les ventes ont crû de 80 % en grande surface, tant en valeur qu’en volume. Dans le même temps, les vins effervescents français sont en chute libre.
Un certain talent
Notre pays n’est qu’un exemple parmi d’autres. Le Royaume-Uni en est un plus impressionnant encore. Là-bas, depuis 2014, le prosecco a supplanté le champagne, non seulement en nombre de bouteilles mais aussi en chiffre d’affaires (338 millions de livres contre 250 millions – 378 millions d’euros contre 280), alors même que le premier coûte beaucoup moins cher. D’ailleurs, cette année-là, les bouteilles de prosecco écoulées dans le monde ont dépassé celles de champagne.
Depuis, le fossé ne cesse de se creuser : l’an dernier, elles planaient en Europe 25 % au-dessus de celles du célèbre vin effervescent français. A tel point qu’on annonce quasiment chaque année une pénurie de bulles italiennes.
Mais d’où vient ce succès ? Du spritz, évidemment. Des mauvaises récoltes champenoises, aussi. De la crise économique, enfin. Tout le monde n’a pas envie de mettre 20 euros dans un vin à bulles. Et, tout de même, il faut reconnaître à ce vin effervescent du nord de Venise, produit dans certaines parties de la Vénétie et idéalement à Trévise, un certain talent.
Le raisin qui le compose (à plus de 85 % obligatoirement), nommé « glera », donne de pimpants parfums de pomme, de poire, de fleurs et d’agrumes. Souvent plus sucré que le champagne, il délivre une sensation gourmande sur la langue. Et comme il contient moins de 12 % d’alcool, il est plus léger et se boit facilement.
Cuve close
Avantage suprême dans un monde marchand : il coûte moins cher à produire que les champagnes ou les crémants. Alors que ces derniers font leur prise de bulles en bouteille, avec de nombreuses manipulations à la clé pour ôter les levures sans perdre l’effervescence, le prosecco utilise un tout autre procédé. Le vin acquiert son gaz carbonique lors d’une fermentation en cuve close, ce qui permet d’agir sur de grosses quantités avec moins d’opérations. Ce qui, aussi, a tendance à rendre le vin plus fruité quoique moins délicat.
Mais tout ne tient pas dans l’arithmétique et les explications cartésiennes. Après tout, le crémant présente un prix plus attractif sur les étals que le grand champenois, souvent semblable à celui du prosecco. Et, soyons honnêtes, il est parfois meilleur. Pourtant, il ne décolle pas. Il n’a pas la cote. Il ne fait pas rêver.
Que lui faudrait-il pour qu’il vive le même conte de fées ? Une communication plus forte et plus rassemblée. Une association dans un cocktail joyeux, dont la couleur rende bien sur Instagram (coucou le Kir). Et peut-être, aussi, un nom qui sonne un peu plus comme un air de vacances. Essayons de lui donner un reflet latin : cremanti. « Un verre de cremanti-mangue, s’il vous plaît ! » : est-ce que cela ne donne pas, déjà, un tout petit peu plus envie ?