Rencontre avec Agnès Weil, directrice développement durable du Club Med

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Agnès Weil, directrice développement durable du Club Med
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On a tous en tête une image du Club Med dont les villages vacances, parodiés dans les Bronzés, ont définitivement marqué l’imaginaire de millions de Français. Toutefois, au-delà de cette célèbre comédie de la fin des années 1970, on sait moins que le Club Med a été créé après-guerre, dès 1950, avec pour idée de base d’abolir, le temps des vacances, les barrières de l’argent (forfait tout compris), des classes sociales et des religions. Puis le temps a passé, le Club a grandi, grossi, évolué, connu des crises et des périodes de doute. Depuis 2015, il appartient au conglomérat chinois FOSUN Tourisme (FTG). Un nouveau virage pour une nouvelle façon d’appréhender les vacances ? Rencontre avec Agnès Weil, directrice développement durable du Club.

VA/ Comment devient-on directrice développement durable du Club Med ?

J’ai fait des études d’économies et statistique à à l’INSEAD avant de faire du conseil. Dès mon premier poste, au sein de VVF, j’étais en lien avec le tourisme social. Je suis restée sept ans, une expérience passionnante d’autant que VVF fonctionnait avec un collège composé de clients, salariés et communautés d’accueil. L’idée était bien sûr de travailler sur le social, mais en lien avec l’aménagement du territoire, l’équité sociale, dans le souci permanent de l’accès aux vacances pour tous. A fin de l’année 1999, j’ai rejoint le Club Med, pour mettre en place le département qualité. Et naturellement, j’ai eu envie d’aller plus loin et proposé la mise en place d’un poste dédié au développement durable, que j’occupe depuis 2004.

VA/ Le Club Med, c’est un concept très différent de VVF…

Ils ont évolué différemment mais étaient à l’origine tous deux des organismes associatifs pionniers du tourisme , convaincus de l’importance du lien social, avec  une relation particulière entre clients et employés, et également entre les clients; mais aussi  sensibles tous deux à la contribution au territoire d’implantation.. Par ailleurs le Club Med est souvent réduit à ses villages, mais il y a tout le reste que j’ai moi-même expérimenté enfant via des voyages au Maroc avec le club. Nous proposons de nombreux séjours mais aussi  des circuits de découverte, des offres qui font parties de notre ADN et sont beaucoup moins connues du grand public alors qu’elles existent depuis la naissance du Club. Le Club Med a, par exemple, organisé un circuit baptisé « les Chemins de la Paix » en Israël, Jordanie, Egypte et Liban , en 1974, bien avant tout le monde, ou des épopées extraordinaires telles la Transsaharienne ou la Transmexicaine. En ce qui concerne nos villages, certes, on n’y pénètre pas comme on veut, car y entrer c’est consommer (tout est en accès libre, « tout compris ») mais cela ne nous nous empêche pas d’avoir de nombreux contacts avec l’extérieur, que ce soit via nos contrats locaux ou par les achats que nous pouvons faire. On nous reproche parfois d’être dans des bulles, coupés de l’extérieur, mais c’est loin d’être aussi caricatural, et  dans certains cas cela peut également protéger l’extérieur de l’intérieur et d’une trop forte pression touristique.

VA/ Concernant les achats locaux, pouvez-vous nous en dire plus ?

Tout à fait. Contrairement à ce qui lui a été souvent reproché, le Club a toujours cherché à acheter local. Depuis 2008, nous avons signé un partenariat avec l’ONG Agrisud afin que l’association intervienne autour de nos villages pour structurer et professionnaliser l’offre des petits producteurs de proximité et rendre ainsi possible l’achat de produits locaux là où c’était compliqué pour des raisons de filière, d’organisation. Par exemple, au Sénégal, Agrisud, en s’appuyant sur des associations locales comme Green Farmer, forme des maraîchères du voisinage à l’agroécologie et aux techniques de gestion et les accompagne pour qu’elles puissent vendre au Club Med des oignons , des tomates, ou d’autres produits. Nous avons des accords dans 6 pays déjà (Maroc, Brésil, Sénégal, Chine, Ile Maurice et Indonésie), soit plus d’un quart des destinations où nous sommes présents.

VA/ Le développement durable, c’est important pour le Club Med ?

Comment pourrait-il en être autrement ! Nous tenons à  montrer que le Club Med est aussi responsable, mais également que le durable peut être désirable, qu’il peut être « Club Med ». Or pour cela, pour pouvoir être solide vis-à-vis de nos clients, de nos salariés, mais aussi pour des raisons pratiques d’organisation, nous avons jugé que la certification était le moyen le plus approprié, qu’elle permettait de donner et d’attester de bases solides . Nous avons donc décidé de faire le choix des labels, et ce, à toutes les étapes de nos activités, que ce soit pour la construction des villages vacances, leur opération, mais aussi pour nos circuits découvertes.

VA/ Vous avez ainsi expérimenté plusieurs labels (Green Globe, l’Ecolabel européen, Earthcheck…). Quels sont ceux qui ont finalement été retenus ?

Dès 2008, nous avons testé l’Ecolabel européen dans l’un de nos villages, ainsi que EarthCheck, et Green Globe dans d’autres . Après plusieurs essais, nous avons jugé que Green Globe, label reconnu par le GSTC (Global Sustainable Tourism Council), était plus adapté à nos villages. L’écolabel européen se fondait moins bien avec nos critères et notre façon de fonctionner, et Earthcheck (branche dissidente de Green Globe) nous  demandait de tout remettre à plat à partir et de repartir à chaque fois d’une feuille blanche, ce qui était beaucoup trop lourd et théorique pour nos équipes. A l’inverse, Green Globe nous a paru très performant, pragmatique, opérationnel, en plus d’être international . En outre, nous avons pu créer notre propre système de déploiement du label, avec une boite à outils et des chargés de mission, souvent en VIE, dont les postes se sont pérennisés sur le terrain en « coordinateurs développement durable » doublés de coordinateur Green Globe dans chaque village.

VA/ Comment réussir à fédérer et former vos équipes à ces labels quand on sait qu’il y a beaucoup de turn-over au sein des GO et des GE ?

Nous nous sommes bien sûr posés la question car il est vrai que chez nous, les équipes tournent souvent, ce qui est aussi une bonne chose dans le sens où nous offrons des expériences à vivre à nombre de jeunes, parfois pour une seule saison, parfois pour des carrières à travers le monde. Mais pour palier à ces rotations de personnels, nous demandons systématiquement en début de saison à nos coordinateurs développement durable de former les nouveaux GO et GE qui intègrent les villages. Ce n’est pas toujours simple et il peut y avoir des « trous dans la raquette », mais les nouvelles générations sont aussi de plus en plus conscientes de ces enjeux durables qui, pour beaucoup, leur semblent être évidents. En outre, nous avons des boites à outils, des check list, repris par les équipes. Enfin, nous organisons des Campus et des Universités des talents où nous rassemblons nos salariés et où nous intervenons régulièrement sur le développement durable.

VA/ La certification est donc une voie que vous poursuivez ?

Tout à fait, aujourd’hui, 87% de notre parc (70 villages) est certifié et nous visons 100% pour la fin de 2021. En outre, nos circuits découvertes sont certifiés ATR (Agir pour le Tourisme Responsable). Quant à la construction de nos villages, nous travaillons avec BREEAM, mais là aussi nous avons testé plusieurs certifications. Par exemple, notre village de Valmorel est certifié HQE. L’enjeu est de taille, car nous sommes opérateur et nous devons convaincre les propriétaires de s’engager dans cette voie, avec des certifications solides. Cela a pris un peu de temps car il ne fallait pas effrayer les investisseurs mais à présent, l’ensemble de nos chantiers en cours sont ou seront certifiés. En Chine, par exemple, nous utilisons souvent  Green Building Design label, une certification nationale. Notre objectif est de poursuivre ainsi au rythme de trois à cinq chantiers par an.

VA/ Cette volonté de continuer à bâtir et à poursuivre les mises en chantier est-elle compatible avec le développement durable ?

Le développement peut être durable s’il est maîtrisé, raisonné. Un certain  niveau de développement  est nécessaire à la viabilité économique de l’entreprise, qui elle même permet l’emploi, la contribution socio- économique aux territoires ; et la poursuite d’une activité que l’on juge porteuse de sens, de lien social, vecteur de détente et d’entente. Et le développement n’est pas en soi néfaste, dès lors qu’il est mené de façon responsable ; n’oublions pas que développer de nouveau resorts permet aussi de  répartir la pression touristique , qui est de toutes façons en expansion.

VA/ Toutefois certains chantiers en cours interrogent, à l’image du Club Med en construction à la Rosière, en Savoie, un immense chantier au cœur d’un petit village perché à 1850 mètre… Un retour sur ce projet et sa gestion environnementale ?

Sur la Rosière, il y a eu beaucoup de confusions car il y a plusieurs investissements immobiliers en cours actuellement et en ce qui concerne le Club Med, il n’y a eu aucun défrichage puisque nous sommes situés sur l’ancien altiport. Le solde est même positif puisque nous avons revégétalisé une partie de la zone bétonnée préexistante en amont. Sur le terrain, les débats se sont apaisés après plusieurs réunions avec les locaux. Nous avons par exemple choisi de baisser la hauteur  de nos étages suite à la concertation avec les riverains. Le chantier sera bien sûr certifié BREAM et le village sera labellisé Green Globe. Car la question est aussi celle du tourisme et de son acceptation. Peut-on ou veut-on se couper de la manne et de l’apport du tourisme ? Or si on accepte que le tourisme est bon pour l’économie locale, on peut aussi se dire que le fait de construire de façon compacte évite l’emprise au sol qu’aurait l’équivalent immobilier en chalets par exemple, les déperditions d’énergie,.. En outre, une fois dans nos villages, on ne prend plus sa voiture. Cela permet de dynamiser l’activité économique de la station sans toutefois l’envahir, puisque nos clients restent aussi beaucoup sur le Village.

VA/ Cela reste toutefois un sacré changement pour une petite station, de nouveaux besoins en eau, en énergie…

Sur l’énergie, nous avons fait un travail de fond en particulier sur la Gestion Technique des Bâtiments (GTB). Par exemple, par un système de capteurs et de pilotage, nous arrivons à faire baisser nos consommations de crête de 6 MW à 2 MW, soit à diviser par trois nos kilowatts/heure de pics. Ce lissage n’est possible que parce que nous sommes concentrés dans un même resort et pas répartis en logements individuels, justement. Cela nous permet d’utiliser efficacement l’énergie avec des équipements performants.

VA/ Il reste que passer ses vacances en montagne n’est pas donné à tout le monde, on est un peu loin du tourisme social là non ?

Evidemment cela a un coût, il s’agit de vacances haut de gamme. Mais le rapport qualité-prix du Club à la montagne est assez imbattable car quoi qu’il en soit, les vacances au ski représentent un certain budget. Or, au Club Med, tout est inclus (cours ESF, forfait de remontées mécaniques, location, repas, etc.). C’est donc un concept qui marche très bien. Après, nous avons des clients qui partent moins souvent et viennent chez nous tous les deux ans. Partir moins mais mieux, cela peut s’entendre aussi, surtout à l’aune des débats en cours sur l’avion. Enfin, toujours sur le volet social, nous réalisons de nombreuses actions à travers notre fondation, des goûters planétaires, des colos séjours, des portes ouvertes, des moments récréatifs pour les enfants défavorisés vulnérables. Par exemple, nous travaillons avec une association de Chambéry, « Ma chance moi aussi », qui permet à des enfants de milieux défavorisés d’avoir accès aux mêmes moments extrascolaires que leurs camarades, une forme d’égalité des chances pour des jeunes de 3 à 18 ans. Nous sommes aussi partenaire d’associations qui viennent en aide aux enfants malades, comme Petits Princes, Make-a-wish. Notre Fondation existe depuis 40 ans ; elle a pour priorités l’accès à l’éducation et la récréation pour tous ainsi que la protection de la biodiversité , dont la promotion de l’agroécologie.

VA/ Et en ce qui concerne les contrats salariés, comment cela se passe-t-il  ?

Nous avons plusieurs types de contrats, certains de nos salariés locaux (GE) sont logés dans le Village le temps d’une saison, d’autres rentrent chez eux le soir. Mais tous nos contrats restent bien entendu  inscrits dans le cadre des réglementations locales. Pour les GO, nous mettons en avant l’expérience de vie, le développement personnel que peut apporter une saison au Club Med. C’est une véritable école des métiers et école de la vie. On rencontre des personnes venues du monde entier, des équipes avec jusqu’à plus de 20 nationalités différentes qui travaillent ensemble. D’une façon générale, on sent un véritable attachement de nos GE et GO, nos études internes le montrent, il y a un niveau d’engagement bien au-delà de la plupart des entreprises. Certes, Le salaire n’est peut-être pas l’élément de motivation principal mais le Club apporte beaucoup plus.

VA/ Il y a aussi et forcément la question du gaspillage alimentaire souvent dénoncé. Des progrès ?

De fait, le Club Med a l’habitude des buffets puisqu’il en propose depuis plus de 60 ans, et il sait donc bien les gérer, même si le choix et la présentation festive donnent un sentiment de profusion. Depuis de nombreuses années, nous avons renforcé les mesures en ce sens, que ce soit au niveau de nos équipes, de l’organisation des restaurants, du recyclage.. Quand c’est possible, nous faisons du tri et donnons à des associations, mais il y a aussi tout un travail d’anticipation sur la forme des assiettes, les quantités, on finit par cuisiner uniquement  ce qui va être mangé. En outre, grâce à la prise de conscience de plus en plus générale, ce n’est plus un sujet tabou et on peut à présent en parler avec nos clients sans les culpabiliser. Car on sent une véritable accélération de la sensibilité pour le développement durable auprès de nos clientèles, que ce soit pour le gaspillage alimentaire donc, mais aussi le plastique, l’origine des aliments..  Il s’agit là d’un vrai sujet, que l’on avait anticipé dès 2007/2008.

VA/ Une dernière question, le fait de faire partie dorénavant d’un groupe chinois vous laisse-t-il la même marge de manœuvre qu’auparavant sur vos actions environnementales, sociales voire salariales ?

Notre actionnaire est conscient des enjeux du développement durable et accompagne positivement nos démarches en ce sens.  On constate par exemple que  pour la rédaction du rapport annuel du Fosun Tourism Group, de plus en plus d’éléments relatifs à l’engagement et aux réalisations du Club Med en termes de RSE nous sont demandés, et c’est une bonne chose…

Source : Rencontre avec Agnès Weil, directrice développement durable du Club Med

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