La dimension « instagrammable » d’une destination est prise en compte par 4 voyageurs français sur 10. Est-ce bien raisonnable ?
Environ 42% des voyageurs réservent leur séjour en fonction, notamment, du potentiel “instagrammable” de la destination, selon une récente étude réalisée par One Poll pour le compte d’eDreams Odigeo. Florian Dragon est le directeur général de l’agence social media We Like Travel. Ce qui ne l’empêche pas d’être auto-critique à l’égard de l’usage des réseaux sociaux et de l’essor du tourisme. « Où va le monde, le tourisme, le digital ?, a-t-il lancé en ouverture de la récente conférence Travel to the Future à Nantes. On s’est tous battus pour faire croître le tourisme, ce qui a toujours été un critère (de performance, NDLR) pour un DMO ou un tour-opérateur. Certaines destinations sont si attractives, comme Venise, Barcelone, Amsterdam », qu’elles peuvent faire vivre l’équivalent du « métro à l’heure de pointe », avec son voisin dans la même rame… Florian Dragon s’est donc interrogé, à voix haute, sur les solutions, reconnaissant que nous n’avons pas de réponses immédiates, et que les réponses seront collectives.
Une réflexion sur les flux
« La culture du digital devient folle, et on y contribue. Instagram est devenu fou. Les générations qui arrivent ont instagrammé leur vie. Notre vitrine est notre expression d’être social », quitte à devenir « fake ». « Certains influenceurs louent une voiture de sport pendant une heure pour se montrer sur Instagram. Et tout le monde copie tout le monde, ce qui devient très inquiétant », ajoute Florian Dragon, évoquant de vraies « déviances ».
Parfois d’ailleurs, des personnes vont attendre quatre heures dans une file d’attente afin de capter une photo d’elles seules dans un décor de rêve. Cette situation amène encore plus à réfléchir sur les réseaux sociaux – dont le DG de We Like Travel reconnaît aussi les grandes qualités – et la gestion de flux toujours plus nombreux. D’ailleurs, espérons que les professionnels du secteur ne publient plus de top des destinations intagrammables…
Nos contradictions
Pour autant, il ne faut pas accuser les pros des perches à selfies de tous les maux, rappelle un récent article du Monde « Instagram : un bouc émissaire du tourisme de masse ? » : les Instagrammeurs sont accusés de dénaturer les lieux qu’ils visitent et de se comporter de façon indécente, mais parfois à tort. Difficile, rappelle le quotidien, d’attribuer à Instagram seul les chiffres impressionnants de fréquentation de la tour de Pise, de la grande muraille de Chine, ou du Machu Picchu – qui figurent pourtant tous les trois dans une liste des « dix destinations de vacances ruinées par Instagram », publiée par le quotidien britannique The Independent. « Ce que révèlent ces articles, c’est l’angoisse du voyageur cultivé devant l’appropriation des lieux et la répétition ad nauseam des esthétiques », déclare au journal Le Monde Saskia Cousin, anthropologue et maîtresse de conférences à l’université Paris-Descartes. Le réseau social racheté par Facebook révèle, et parfois amplifie les contradictions de l’espèce humaine : nous voulons aller là où aucun autre voyageur ne va. Mais si personne le le sait, c’est quand même moins intéressant.