9ème édition du Concours « Il était une fois le Maître d’Hôtel de demain…» : la notion d’hospitalité

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Joël Garnier, professeur de philosophie, s’est exprimé mi-décembre devant les étudiants de BTS 2ème année du Lycée des Métiers H. Friant de Poligny sur le thème du concours Ô Service 2017. Chaque année, il pose ainsi les bases de leur réflexion afin qu’ils puissent structurer leur travail et le dossier qu’ils rendront en février.

“Il était une fois le maître d’hôtel”, concours annuel initié en 2009 en partenariat entre Denis Courtiade, Directeur de salle au restaurant « Alain Ducasse au Plaza Athénée » et Président Fondateur de l’association « Ô Service des talents de demain », et Corinne Hacquemand professeure certifiée Maître d’Hôtel au Lycée Hyacinthe-Friant de Poligny, permet à la cinquantaine d’étudiants et apprentis en BTS Hôtellerie Restauration option Génie culinaire et Arts de la table, de réfléchir sur un thème dont la ligne directrice est le Maître d’Hôtel de demain. Le dossier gagnant remporte chaque année un déjeuner pour 2 personnes tout compris au célèbre restaurant « Alain Ducasse au Plaza Athénée », 3 macarons au Guide Michelin. La prochaine remise des prix aura lieu en mars 2017.

Voici donc la synthèse des points abordés lors de l’intervention de Joël Garnier, professeur de philosophie.

La notion générale d’hospitalité

La notion d’hospitalité n’est pas directement liée à un acte d’accueil. Elle a également une dimension politique par l’hospitalité qu’un pays doit, par exemple, à un autre.
L’hospitalité est bien sûr attachée au lieu, au matériel mis à disposition, à l’esthétique, mais elle est aussi et surtout affective et humaine.
Lorsqu’on accueille quelqu’un, on a coutume de dire que l’on souhaite qu’il se sente « comme chez lui ». Or dans cette expression se cache le sens profond de l’hospitalité : celui que l’on accueille craint de se trouver perdu, confronté à des règles attendues de comportement inhabituelles pour lui : tout l’enjeu consiste alors à le rassurer. Le « faites comme chez vous » est donc une autre façon de dire « ne soyez pas perdu, ne soyez pas angoissé ».
« Si l’on n’est pas toujours l’hôte, on est parfois l’hôte » : en effet, la notion d’ « hôte » est double et comprend à la fois celui qui accueille et celui qui est accueilli. Pourquoi cette double signification ? Parce que ce même mot met celui qui reçoit et celui qui est reçu sur un pied d’égalité, même si, dans les faits, celui qui reçoit fait davantage que celui qui est reçu justement parce que ce dernier se sentirait perdu (où sont les assiettes ? Où sont les plats ?).
Dans ce cadre, celui qui reçoit doit même devancer ce dont son hôte aura besoin.
Alors, nous devons être capable de penser à un accueil dans l’espace, une disposition pour que les personnes qu’on accueille ne se sentent pas perdues. Le lieu, le fait de guider la personne, la carte… sont autant d’éléments matériels de l’hospitalité. Quelques mots prononcés dans la langue d’origine lors de l’accueil, même avec un accent maladroit, sont ressentis également pour la clientèle étrangère comme un effort d’hospitalité. Aussi, même si l’hospitalité peut être pensée, elle réside surtout dans les gens, leur visage, leur inconscient également.
Parfois, la personne qui accueille n’est pas en forme, n’a pas envie de voir d’autres personnes, n’a pas même envie que ces autres personnes soient heureuses mais c’est pourtant son métier donc le professionnel doit, lui, se conditionner pour ne pas gâcher tous les efforts de la cuisine, du lieu, etc. Car l’hospitalité dans le cadre professionnel est manifestée à l’autre contre paiement et n’a alors pas le même sens que le sens originel que nous allons développer.

L’hospitalité comme droit sacré, puis comme morale

Au départ, dès l’Antiquité grecque et romaine, l’hospitalité était un droit sacré : elle n’était pas inscrite dans la loi mais inscrite dans la volonté des dieux. Il s’agissait alors de plaire aux dieux en offrant gîte, couvert et surtout protection à celui qui était perdu en territoire étranger. Il ne s’agissait pas seulement de le mettre à l’abri des intempéries et le nourrir, mais surtout de le protéger, lui signifier « tu ne risques rien sous mon toit ». Malgré le fait que l’hospitalité supposait de partager l’intimité de son habitat avec un étranger, donc une certaine prise de risque, les règles de l’hospitalité étaient relativement bien respectées car les dieux voyaient tout et on redoutait leur courroux si on ne s’y pliait pas.

Cette hospitalité sacrée n’était pourtant pas un humanisme : elle ne s’appliquait pas à tout être humain, de façon universelle et quelle que soit son origine, son âge, etc., mais était conditionnée à l’appartenance à une famille, une ville, un État, etc.
Plus tard l’hospitalité est prise en charge par l’État lui-même. L’apparition de l’hôpital général (hospitalité / hôpital) sous Louis XIV propose aux plus pauvres et à ceux qui ne peuvent assurer eux-mêmes leur survie, un refuge pour s’abriter et se nourrir. L’hôpital n’est pas encore alors un lieu où l’on soigne. Cette hospitalité n’est alors plus un droit sacrée, ni un soucis humaniste, mais plutôt un moyen d’éviter une révolte probable.

La notion d’asile apparaît ensuite, ambiguë car portant à la fois des valeurs de protection (protéger les personnes d’elles-mêmes) et d’enfermement. L’hospitalité est alors parfois une prison, comme on le retrouve dans le mot « otage » qui a la même origine.
Cette hospitalité là, sacrée, ne correspond plus beaucoup à notre réalité actuelle, même si on en trouve quelques traces dans certaines régions ou certains pays. L’hospitalité actuelle est plus morale que sacrée.

Elle a maintenant également une dimension culturelle, étant devenue la caractéristique d’un peuple et est davantage devenue une question collective, voire politique.

L’hospitalité au restaurant

L’hospitalité ne peut pas être contenue dans un texte car elle véhicule une notion de joie, de bonheur : celui qui est reçu va chercher à détecter chez l’autre qu’il est heureux de sa présence.

Lorsqu’on prépare un service et qu’on accueille les clients, même s’ils ne sont pas des amis, on regarde le résultat des efforts accomplis pour les accueillir et on se demande si « ils vont être bien ». On est heureux de les accueillir justement parce qu’on a fait en sorte qu’ils « soient bien ». Et c’est alors cette sorte d’hospitalité qui est perçue par les clients lorsqu’ils sentent que l’on est heureux qu’ils soient là.

Il faut souligner enfin qu’il doit y avoir une réciprocité entre l’hôte et l’hôte pour que l’hospitalité soit entière : en effet, il n’est pas possible (ou pour le moins très difficile) d’être heureux qu’un client soit là si ce dernier est particulièrement odieux avec son hôte.

Il y a donc un noyau fondamental dans l’hospitalité qui est l’affectivité que l’on met dans l’acte de recevoir.

On peut à ce sujet faire un lien avec l’hospitalisme qui désigne un état pathologique de ceux, en particulier les enfants, qui sont privés de relations affectives. Les enfants contagieux pouvaient en être atteints lorsqu’ils étaient isolés longuement en quarantaine, loin de leurs proches. Ceux-ci étaient nourris, soignés, protégés, mais privés de rapports affectifs donc d’hospitalité, ils sombraient dans une dépression qui pouvait les conduire jusqu’à la mort.

C’est aussi et surtout cette sorte d’hospitalité, empreinte de rapports affectifs, que le client recherche lorsqu’il est accueilli dans un restaurant.

En conclusion, le philosophe avance qu’il serait étonnant de pouvoir penser suffisamment rationnellement le meilleur accueil possible pour parvenir alors à le confier à des robots. La dimension humaine de l’accueil n’est pas transférable.

Fort de ces pistes, les étudiants devront maintenant transférer ces notions d’hospitalité et les pistes évoquées à l’accueil des nouveaux collaborateurs -qu’ils seront eux mêmes- dans les entreprises.

Source : 9ème édition du Concours « Il était une fois le Maître d’Hôtel de demain…» : la notion d’hospitalité